L’apparition de la Salette présentée par ses bergers.

Photo en tête d’article : Maximim et Mélanie photographiés en 1848

Nous reproduirons dans les semaines à venir une revue parue en 2006 (l’Impartial n°199), publiée par le Père Michel Corteville, spécialiste de La Salette.

En voici le prologue :

Résumer en quelques mots le message de Notre Dame de La Salette n’est pas facile : il faudrait redire tout l’amour de Dieu que Marie a voulu y transmettre en soulevant le voile de l’éternité à des
yeux innocents. Mais avant d’en accueillir dans nos cœurs la grande nouvelle, des équivoques propagées sur l’apparition et ses voyants doivent être levées.

– D’abord, La Salette est-elle une apparition terrible, opposée à Lourdes qui ne serait que consolation ?

– Le croire, ce serait ignorer Lourdes : le »mot pénitence 3 fois répété, Bernadette mangeant de l’herbe et se barbouillant de boue, sa surtout vie de misère et de souffrance. Ce serait oublier encore la grande nouveauté de La Salette incarnée par le visage en larmes de Marie : celle de la tendre et réconfortante compassion de Dieu à nos malheurs. Dieu et ses saints pleurent aussi, dans leur gloire, avec ceux qui pleurent sur terre ! Le ciel n’est pas heureux au dessus de nos malheurs. Voilà donc la ruine d’une théologie sans cœur ni âme. Dieu est bien Père et le meilleur des pères, autant père que mère : aussi tendre et compatissant que puissant.

-Il est vrai qu’à La Salette, Marie se fait prophète du péril qu’encourt l’humanité et dénonciatrice du péché, le mal radical. Faut-il s’autoriser de ses paroles médicinales pour parler de retour à l’Ancien Testament ?

– Outre que la tendresse divine n’est pas absente de cette partie de la Bible, ce serait encore oublier le contraste qui partage le discours évangélique en deux registres. Jésus se montre aussi miséricordieux avec les pécheurs conscients de leur faute, qu’il se fait terrible aux orgueilleux et aux  hypocrites, fussent-ils docteurs et chefs de son  peuple. Et même dans ce cas, Jésus stigmatise le péché mais pas le pécheur : il a accepté Judas l’Apôtre auprès de lui tout en le sachant voleur et traître.
Le vocabulaire prophétique est d’ailleurs fait de mots humains inappropriés à Dieu mais capables de nous interpeller. Colère et vengeance contre les êtres n’existent pas en lui. On ne peut opposer
la plus-que-colère de Dieu contre le mal, qui est le contraire de lui-même, et sa miséricorde pour les créatures œuvres de ses mains. Parler de la « vengeance » de sa justice, c’est exprimer sa tolérance provisoire du mal, surtout dans la mesure où la liberté de l’homme est en jeu, en même temps que sa réprobation, et tôt ou tard, sa répression à la juste mesure de toutes les formes de mal, avec une ample compensation pour ses victimes.
A La Salette, Marie qui parle en prophète est juste en ce qu’elle ne reproche rien aux païens et secoue d’abord la foi des baptisés. Dans le secret de Mélanie, elle interpelle leurs pasteurs avec la
même véhémence que le Christ, selon l’adage du Saint Curé d’Ars : pasteur médiocre, peuple mauvais. Mais elle se penche sur deux gosses recalés au catéchisme : Maximin l’orphelin, qui troque l’église pour le cabaret avec son père, et Mélanie la mal-aimée, toute proche de Dieu dans la souffrance et la nature, comme Bernadette à Bartrès.
Saint Jean-Marie Vianney a bien compris La Salette, mais après avoir longtemps douté, lui, le saint patron des curés – du redoutable curé de Lourdes aussi – en concluant : « Que la Sainte Mère
de Dieu est bonne d’être descendue sur la terre pour nous ! Elle y a pleuré pour nous, pauvres pécheurs ! Il faut bien être reconnaissant et profiter de ses miséricordes. Oh! J’y crois bien et j’en
suis heureux [ … Par La Salette] on comprendra la bonté de la Ste Vierge pour les pauvres pécheurs, et ce n’est pas tout, ce sera de mieux en mieux. Il y aura bien des peines et des tribulations,
mais ce sera pour le bien, et surtout ayons confiance. »

La Salette, parole insupportable aux d’oreilles savantes ? Méditons pour notre part la description à suivre de Notre Dame faite par la « pauvre Mélanie », comme disent des pasteurs avec mépris. (Et qui figure au rang des « PLUS BEAUX TEXTES SUR LA VIERGE MARIE » édités en livre de poche P. Régamey, théologien dominicain). Nous partagerons alors le bonheur d’avoir nous aussi près de nous une telle mère, et pour Sauveur, vivant sur son cœur, Jésus roi d’amour et d’humilité !

« – La Salette … Les pommes de terre ! » ironisait encore Mgr Saliège, grand évêque de Toulouse … Apparition de pacotille ?

– Pas d’idéalisme ! Dieu s’intéresse aussi au matériel qu’il a créé, au « pain quotidien » que la foi et la charité peuvent multiplier. S’il s’adresse aux producteurs et consommateurs de légumes, il parle
aussi sans plus de cérémonie aux « grands » du monde. La Salette a mobilisé, avec la campagne et la ville, les sages : philosophes, théologiens, pasteurs, saints. Dieu rappelle à tous, et à titre d’exemple, aux transporteurs ou aux paysans, qu’à force d’être maudit ou chassé, il n’est pas importun et sait se retirer avec ses bienfaits non désirés … Et il le dit aussi aux nations et à un chef précis, le futur Napoléon III. Quant au secret de Mélanie, comme dans le reste du message, la force du style et l’ampleur des descriptions n’ont pas d’égal. Il confirme la grande tradition mystique de l’Eglise, selon les modalités du genre prophétique qui n’est pas à prendre au pied de la lettre. Après cette précision, le pape Benoît XV ne discute pas sa substance d’origine divine devant Maritain ! [1] Concrètement, qui pourra rire de l’annonce, dans les secrets officiels de 1851 désormais connus, « au plus tard aux années 2000, de la perte de la pratique religieuse des 2/3 de la France ? Ou de la venue d’un pape « attendu de personne » ? Ou d’un pontife sur qui « on tirera » sans pouvoir le mettre à mort ? Ces prophéties avérées sont un gage pour les autres. Sans les ignorer, ne nous laissons pourtant pas troubler par les prédictions apocalyptiques du message de la Vierge – Femme revêtue de soleil que le dragon guette (Ap. 12)- Elles sont conforme à l’Ecriture. Guerres, cataclysmes, persécutions, destructions, tout cela n’est-il pas prédit comme les convulsions qui précéderont la libération (Mt 24, 6-8) ? Quant à Paris, la cité la plus prisée du monde, des mystiques ont aussi parlé de ses malheurs futurs. En note du secret, on lira des paroles de Don Bosco … Mais pourquoi craindre pour la chair ?

Mgr de Bruillard qui accueillit l’apparition et ses voyants

 

– Don Bosco, on pourrait peut-être le croire, mais les voyants de La Salette ? Ils ont mal tourné ! Maximin le noceur, Mélanie la folle ? C’est écrit dans les meilleurs livres !

-C’est en effet ce que des athées, mais aussi de respectables clercs ont inventé pour tourner en dérision leur parole. Les bergers n’étaient-ils pas trop pauvres et francs pour faire entendre Marie dans leurs salons ? La censure était elle plus difficile que la conversion ? En vérité, à leur manière très différente, après être passés par l’évangélique creuset de la souffrance, les bergers de Marie sont bien arrivés tous les deux – si l’on en croit leurs proches, dont Saint Annibale qui priait lui-même Mélanie- aux côtés de celle qui les a choisi entre tous.

Saint Annibale di Francia

Sur leur pas, méditons le grand remède que Marie nous apprend. Retrouvons l’humilité de l’amour filial, l’obéissance à Dieu, la haine du péché et des injustes richesses, la soif des valeurs sans
prix. Efforçons nous de donner, à tous les niveaux, le témoignage chrétien, radical et intrépide, qui nous est enseigné par la Règle de la Mère de Dieu sous son camouflage de mots simples et forts. Que par ce retour à la source, tout près de Marie, le mal soit vaincu et que le Père se réjouisse au ciel, en son Fils enfin aimé de tous les cœurs.

Abbé Michel Corteville [2]

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[1] Dans ses souvenirs (CARNET DE NOTES, 1965,008), Maritain résume l’attitude du pape et la distinction : -fond authentique -forme à interpréter- par une formule latine. C’était déjà l’opinion des défenseurs du secret : Mgr Zola, évêque de Lecce qui en autorisa la publication après que le secret eut été lu par Léon XIII, le célèbre Père Semenenko, etc. Si la publication du secret de
Mélanie fit scandale dans des évêchés français, et si des commentaires exaltés entraînèrent l’interdiction romaine de le commenter (1915), il n’a jamais été condamné sur le fond. La promulgation du nouveau code de Droit Canonique (1983) a d’ailleurs abrogé les anciens décrets.

[2] le Père Michel de Corteville est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Salette , notamment « Découverte du secret de La Salette » co-écrit avec René Laurentin après que le P. De Corteville ait retrouvé dans les archives du Vatican l’original du premier récit écrit du secret par les voyants ; et aussi « La grande nouvelles des bergers de La Salette », sans doute l’ouvrage le plus complet sur ce sujet.