L’Apparition de la Très-Sainte-Vierge sur la Montagne de La Salette le 19 septembre 1846

Nous reproduisons une revue parue en 2006 (l’Impartial n°199), publiée par le Père Michel Corteville, spécialiste de La Salette.

L’Apparition de la Très-Sainte-Vierge sur la Montagne de La Salette

le 19 septembre 1846

Récit de Mélanie complété par Maximin

Imprimatur de l’évêché de Lecce, Italie, 1879. Sur la couverture, ce titre est suivi de la parole du message : « Eh bien! Mes enfants, vous le ferez passer à tout mon Peuple. »

1. la rencontre des deux bergers

Le 18 septembre, veille de la Sainte Apparition de la Sainte Vierge, j’étais seule, comme à mon ordinaire, à garder les vaches de mes Maîtres. Vers les onze heures du matin, je vis venir auprès de moi un petit garçon. A cette vue je m’effrayai, parce qu’il me semblait que tout le monde devait savoir que je fuyais toutes sortes de compagnies. Cet enfant s’approcha de moi et me dit : « Petite, je viens avec toi, je suis aussi de Corps. » A ces paroles, mon mauvais naturel se lit bientôt voir, et, faisant quelques pas en arrière, je lui dis : « Je ne veux personne, je veux rester seule. » Mais cet enfant me suivait en me disant : « Va, laisse-moi avec toi, mon Maître m’a dit de venir garder mes vaches avec les tiennes : je suis de Corps. » Moi, je m’éloignai de lui, en lui faisant signe que je ne voulais personne, et, après m’être éloignée, je m’assis sur le gazon. Là, je faisais ma conversation avecles petites fleurs du Bon Dieu. Un moment après, je regarde derrière moi, et je trouve Maximin assis tout près de moi. Il me dit aussitôt: « Garde-moi, je serai bien sage. » Mais mon mauvais naturel n’entendit pas raison. Je me relève avec précipitation et je m’enfuis un peu plus loin sans rien lui dire, et je me remis à jouer avec les petites fleurs du Bon Dieu. Un instant après, Maximin était encore là, à me dire qu’il serait bien sage, qu’il ne parlerait pas, qu’il s’ennuierait d’être tout seul, et que son Maître renvoyait près de moi, etc …
Cette fois, j’en eus pitié, je lui fis signe de s’asseoir, et, moi, je continuai avec les petites fleurs du Bon Dieu. Maximin ne tarda pas à rompre le silence, il se mit à rire (je crois qu’il se moquait de mai), je le regarde et il me dit : « Amusons-nous, faisons un jeu. » Je ne lui répondis rien, car j’étais si ignorante que je ne comprenais rien au jeu avec une autre personne, ayant toujours été seule. Je m’amusais avec les fleurs, toute seule, et Maximin, s’approchant tout à fait de moi ne faisait que rire en me disant que les fleurs n’avaient pas d’oreilles pour m’entendre et que nous devions jouer ensemble. Mais je n’avais aucune inclination pour le jeu qu’il me disait de faire. Cependant je me mis à lui parler, et il me dit que les dix jours qu’il devait passer avec son Maitre allaient bientôt finir et qu’ensuite il s’en irait à Corps chez son père, etc… Tandis qu’il me parlait, la cloche de la Salette se fit entendre, c’était l’Angelus ; je fis signe à Maximin d’élever son âme à Dieu. Il se découvrit la tête et garda un moment le silence. Ensuite je lui dis :  » Veux-tu dîner ?  – Oui, me répondit-il. Allons.  »


Nous nous assîmes, je sortis de mon sac les provisions que m’avaient données mes Maîtres et, selon mon habitude, avant d’entamer mon petit pain rond, avec la pointe de mon couteau je fis une croix sur mon pain, et, au milieu, un petit trou, en disant « Si le diable y est qu’il en sorte, et si le Bon Dieu y est qu’il y reste ! » et vite, vite, je recouvris le petit trou. Maximin partit d’un grand éclat de rire et donna un coup de pied à mon pain, qui s’échappa de mes mains, roula jusqu’au bas de la montagne et se perdit. J’avais un autre morceau de pain ; nous le mangeâmes ensemble ; ensuite nous fîmes un jeu ; puis, comprenant que Maximin devait avoir besoin de manger, je lui indiquai un endroit de la montagne couvert de petits fruits. Je l’engageai à aller en manger, ce qu’il fit aussitôt ; il en mangea et en rapporta plein son chapeau. Le soir nous descendîmes ensemble de la montagne et nous nous promîmes de revenir garder nos vaches ensemble.

[Deuxième rencontre: le jour de l’apparition]

Le lendemain, 19 septembre, je me retrouvai en chemin avec Maximin. Nous gravissions ensemble la montagne. Je trouvais que Maximin était très bon, très simple, et que volontiers il parlait de ce dont je voulais parler, il était aussi très souple, ne tenant pas à son sentiment ; il était seulement un peu curieux ; car, quand je m’éloignais de lui, dès qu’il me voyait arrêtée, il accourait vite pour voir ce que je faisais et entendre ce que je disais avec les fleurs du Bon Dieu ; et s’il n’arrivait pas à temps, il me demandait ce que j’avais dit. Maximin me dit de lui apprendre un jeu. La matinée était déjà avancée. Je lui dis de ramasser des fleurs pour faire le « Paradis ». Nous nous mimes tous les deux à l’ouvrage ; nous eûmes bientôt une quantité de fleurs de diverses couleurs. L’Angélus du village se fit entendre, car le ciel était beau, il n’y avait pas de nuages. Après avoir dit au Bon Dieu ce que nous savions, je dis à Maximin que nous devions conduire nos vaches sur un petit plateau près du ravin, où il y aurait des pierres pour bâtir le « Paradis ». Nous conduisîmes nos vaches au lieu désigné, et ensuite nous prîmes notre petit repas ; puis nous nous mimes à porter des pierres et à construire notre petite maison,- qui consistait en un rez-de-chaussée qui, soi disant, était notre habitation, puis un étage au-dessus qui était selon nous le « Paradis ». Cet étage
était tout garni de fleurs de différentes couleurs, avec des couronnes suspendues par des tiges de fleurs. Ce « Paradis » était couvert d’une seule et large pierre que nous avions recouverte de fleurs ; nous avions aussi suspendu des couronnes tout autour. Le « Paradis » terminé nous le regardions ; le sommeil nous vint, nous nous éloignâmes de là à environ deux pas, et nous nous endormîmes sur le gazon.

La Belle Dame s’assied sur notre Paradis, sans le faire croûler… »

Maximim, de son côté, commence le récit par une prière :

 » Très Sainte Vierge Marie Immaculée, Notre-Dame de La Salette, permettez-moi de venir déposer à vos pieds ces quelques pages ; faites qu’aujourd’hui que je suis devenu homme, ma voix soit aussi pure, aussi véridique que le 19 septembre 1846, quand je descendis de votre sainte montagne pour annoncer, à tout Votre Peuple, la grande nouvelle dont vous m’avez chargé. Je n’aurais jamais écrit, bonne et très excellente Mère, si l’on ne mettait point en doute mon témoignage, si l’on ne le tournait point contre vous-même, si l’on ne me prêtait point des paroles lorsque je garde le plus profond silence. Je vous prie et je vous supplie, ô très sainte Vierge Marie, implorée sous votre titre de Notre-Dame de La Salette, de m’accorder, jusqu’à la fin de mes jours, la grâce de confesser votre apparition, comme tous les témoins de l’Eglise ont fait pour la divinité même de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Maximin enchaîne avec le récit :
« II est midi. Ce n’est point l’heure des ténèbres si favorable aux illusions ; le ciel est serein ; les nuages dans leurs formes étranges ne nous feront voir aucun fantôme ; le soleil brille du plus vif éclat ; il sera facile aux deux témoins de comparer sa splendeur avec celle de la très sainte Vierge. Je dis ces choses, car, pour le plaisir de nous combattre, quelles hypothèses n’a-t-on pas inventées ? Assis au sommet de la Sainte Montagne, sur des pierres placées les unes sur les autres et formant une espèce de banc, près d’une fontaine tarie qui a coulé le jour même, qui depuis coule toujours et porte le nom de fontaine miraculeuse, Mélanie et moi faisons notre frugal repas. Nos vaches boivent et se dispersent. Fatigué, je m’étends sur le gazon et je dors. Quelques instants après j’entends la voix de Mélanie m’appelant : Mémin (diminutif de Maximin), Mémin, viens vite que nous allions voir où sont nos vaches. Je me réveille en sursaut, je saisis mon bâton et je suis Mélanie qui me servait de guide. Nous franchissons la Sézia, nous gravissons rapidement le versant d’un monticule et nous apercevons sur l’autre versant, nos bestiaux qui reposaient tranquillement.

II. Début de l’apparition

Nous revenions vers le banc de pierre où nous avions laissé nos panetières quelques instants auparavant, quand tout à coup Mélanie s’arrête, son bâton lui échappe des mains ; effrayée, elle se tourne vers moi en disant :
– Vois-tu là-bas cette grande lumière ?
– Oui, je la vois, lui répondis-je ; mais va, prends ton bâton.
Et alors brandissant le mien avec menace :
– Si elle nous touche, ajoutai-je, je lui en donnerai un bon coup.
Cette lumière, devant laquelle celle du soleil semble pâlir, parait s’entrouvrir et nous distinguons dans son intérieur la forme d’une dame encore plus brillante. Elle avait l’attitude d’une personne profondément affligée ; elle était assise sur l’une des pierres du petit banc, les coudes appuyés sur ses genoux et le visage caché dans ses mains.


Quoique à une distance de vingt mètres environ, nous entendons une voix douce comme si elle sortait d’une bouche voisine de nos oreilles, disant ;
– Avancez, mes enfants, n’ayez pas peur, je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle .
La crainte respectueuse qui nous avait tenus en arrêt s’évanouit ; nous courons à elle comme à une bonne et très excellente mère. »

Reprise du récit de Mélanie :
« Ces douces et suaves paroles me firent voler jusqu’à elle, et mon cœur aurait voulu se coller à elle pour toujours. Arrivée bien près de la Belle Dame, devant elle à sa droite, elle commence le discours, et des larmes commencent aussi à couler de ses beaux yeux :
« Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si lourde et pesante que je ne puis plus la retenir. Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse. Et, pour vous autres, vous n’en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j’ai prise pour vous autres.
Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui appesantit tant le bras de mon Fils.
Ceux qui conduisent les charrettes ne savent pas parler sans y mettre le nom de mon Fils au milieu.
Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils. Si la récolte se gâte, ce n’est qu’à cause de vous autres. Je vous l’ai fait voir l’année passée par les pommes de terre, vous n’en avez pas fait cas ; c’est au contraire quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez, et vous mettiez le nom de mon Fils. Elles vont continuer à se gâter, à la Noël il n y en aura plus.  »
Ici je cherchais à interpréter la parole : pommes de terre ; je croyais comprendre que cela signifiait : pommes. La Belle et Bonne Dame, devinant ma pensée reprit ainsi.
« Vous ne comprenez pas, mes enfants, je vais vous le dire autrement.  »
La traduction en français [du discours que la Vierge continue maintenant en patois] est celle-ci :
« Si la récolte se gâte, ce n’est rien que pour vous autres ; je vous l’ai fait voir l’année passée par les pommes de terre, et vous n’en avez pas fait cas ; c’était, au contraire, quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez et vous mettiez le nom de mon Fils. Elles vont continuer à se gâter et, à la Noël, il n’y en aura plus. Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer. Tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront, et ce qui viendra tombera tout en poussière quand vous le battrez. Il viendra une grande famine. Avant que la famille vienne, les petits enfants au-dessous de sept ans, prendront
un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront ; les autres feront pénitence par la faim. Les noix deviendront mauvaises ; les raisins pourriront.  »

Ici, la Belle Dame, qui me ravissait, resta un moment sans se faire entendre ; je voyais cependant qu’elle continuait comme si elle parlait, de remuer gracieusement ses aimables lèvres. Maximin recevait alors son secret.

A suivre…