Elisabeth de la Trinité, la grâce d’aimer la vie en profondeur…
« Il est Tout Amour !
Je lui demande de se révéler à ton âme,
d’être l’Ami que tu saches toujours trouver,
alors tout s’illumine et c’est si bon de vivre ! »
Lettre 161
Ce cri et cette interpellation de Sainte Elisabeth de la Trinité nous révèle en quelque sorte le secret de sa vie… N’y avait-il pas en elle cette grâce unique de découvrir sans cesse cette Présence de Dieu au cœur même de la vie ? Assurément ! La densité de son existence a très vite été fondée sur la « conquête » d’une unité entre activité et intériorité. Très jeune, elle a dû mener une lutte soutenue contre sa nature violente et elle s’est battue pour se laisser toucher et transformer par Jésus, présent au fond de son cœur… et la poursuite de cette unité entre combat spirituel et oraison silencieuse ne fera que grandir avec le temps et portera des fruits d’une telle paix !
A quelques jours du grand départ vers le Ciel, elle pose un tel regard de sagesse sur sa vie qui en dit long sur son itinéraire intérieur. Et elle fait ici une de ses plus belles synthèses sur la vie spirituelle où le chemin de foi mène à ce cœur profond… où nous attend le Maître :
« Que la vie est quelque chose de sérieux ; chaque minute nous est donnée pour nous « enraciner » plus en Dieu, selon l’expression de Saint Paul (Ep 3,17), pour que la ressemblance avec notre divin Modèle soit plus frappante, l’union plus intime. Mais pour réaliser ce plan qui est celui de Dieu lui-même, voici le secret : s’oublier, se quitter, regarder au Maître, ne regarder qu’à Lui, recevoir également comme venant directement de son amour, la joie ou la douleur ; cela établit l’âme sur des hauteurs si sereines !…
Je vous laisse ma foi en la présence de Dieu, du Dieu tout Amour habitant en nos âmes. Je n’ai pas peur de ma faiblesse, c’est elle qui me donne confiance, car le Fort est en moi et sa vertu est toute-puissante (2 Co 12,9) ; elle opère, dit l’Apôtre, au-delà de ce que nous pouvons espérer[1] ! » (Ep 3,20).
Et dans une autre lettre splendide à une sœur carmélite, elle soulève le voile sur sa mission future… et elle la précise avec cette liberté et cette sagesse qui en fait déjà pour nous cette Maîtresse d’intériorité :
« Il me semble qu’au Ciel, ma mission sera d’attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux, et de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s’imprimer en elles, de les transformer en Lui-même. Chère petite sœur de mon âme, il me semble que maintenant je vois toutes choses à la lumière du bon Dieu, et si je recommençais ma vie, oh, comme je voudrais ne plus perdre un instant !… Mon Maître me presse, Il ne me parle plus que de l’éternité d’amour. C’est si grave, si sérieux ; je voudrais vivre chaque minute pleine[2]… » On connaît l’émouvante chanson de Cabrel : « Je l’aime à mourir… » Mais Elisabeth, si belle et si vivante, est saisie elle par une autre musique, celle d’un Amour mystérieux : « Jésus… je l’aime à en mourir[3] ! »
Elisabeth de la Trinité vient nous aider à guérir du vide actuel où prédominent le virtuel et l’éphémère. Sa vie nous dit que le bonheur est simple, que l’essentiel est là, tout près de nous, devant nos yeux, à portée de cœur… Elle est aussi pour nous ce témoin étonnant et rassurant : si amoureuse de Jésus et si ouverte à la vie ! Comme le Pape Jean-Paul II l’a dit à la jeunesse lors d’un pèlerinage à Lourdes : Elisabeth possède « la grâce d’aimer la vie ! » dans sa plénitude… car elle a en vérité « ce regard contemplatif qui voit la vie dans sa profondeur en en saisissant les dimensions de gratuité, de beauté, d’appel à la liberté, découvrant en toute chose le reflet du Créateur et en toute personne son image vivante[4] ! »
C’est ce qui se passe dans la vie d’Elisabeth, car elle n’aime pas la vie comme on l’aime aujourd’hui dans une société dominée par la frénésie de la consommation du néo-hédonisme. Bien au contraire, jeune laïque ouverte autant que profonde, « elle sait jouir de tout ce qui lui est offert. Ce qui est bon est bon, ce qui est mal doit être évité. Elle s’enthousiasme facilement et reconnaît la valeur propre de chaque chose. Elle aime le climat chaleureux, le geste généreux, les grands horizons. En même temps, elle sait dépasser, rester détachée, elle écoute les choses chanter leur source[5]… » car la mystérieuse Présence de Dieu autour d’elle et en elle est le centre et la référence constante de sa vie.
En la regardant vivre, on la sent si ouverte à tous et à ce qu’offre la société, si partante pour l’aventure, si émerveillée de la Création. Oui, tout la passionne, mais en même temps rien n’est plus attirant que le Visage de l’Epoux, « si captivant, si beau[6] ! » Cette double dimension est très marquante dans la vie de l’éblouissante Elisabeth qui attirait le regard des garçons dans les soirées dansantes… C’est qu’en étant si happée par ce Dieu caché en son cœur, elle est en même temps une amoureuse de la vie, avec ses multiples relations, son sens de l’aventure et son attention si délicate aux autres ! Ecoutons là partager à ses amies les « plus belles vacances de sa vie » dans le midi de la France, en ce début de l’été 1898 :
« Notre séjour ici n’a été qu’une suite de plaisirs : matinées dansantes, matinées musicales, parties de campagne, tout se succédait. La société de Tarbes est très agréable ; j’ai vu une quantité de jeunes filles, toutes plus charmantes les unes que les autres… et nous emportons un délicieux souvenir de Tarbes !… J’ai eu mes 18 ans avant-hier et madame De Rostang m’a donné une ravissante garniture de chemisette en turquoise[7] !…
En quittant Tarbes nous avons été à Lourdes, ce coin du Ciel où nous avons passé trois jours délicieux comme on ne peut en passer que là ; j’ai bien pensé à vous au pied de la grotte ; ah ! si vous saviez quels bons moments on y passe, et comme on est ému ! Il n’y avait pas de grands pèlerinages… j’aime Lourdes avec ce calme ! »
Et ensuite, c’est la visite des Pyrénées par Luchon, Cauterets et là, Elisabeth est transportée : « muette d’extase devant ces belles montagnes dont je suis folle et que j’aurais voulu ne jamais quitter[8] ! » Et puis, c’est le séjour dans l’Aude vers ce cher Carlipa qu’elle aime tant : « Même après les belles Pyrénées, je lui trouve son cachet ! Je mène une vie calme et tranquille, cette vie de campagne que j’aime tant[9]… »
Décidément, la vie d’Elisabeth est le contraire de l’ennui et elle nous prouve qu’aimer Jésus par-dessus tout nous rend, non seulement, plus merveilleusement humain mais rayonnant, déjà, d’une Lumière que tout le monde cherche…
+M Mickaël
[1] Sainte Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, Lettre 333, Cerf 1991, p.790.
[2] Lettre 335, p.792-793.
[3] Journal 17.
[4] Jean-Paul II, L’Evangile de la vie, n° 83.
[5] Conrad De Meester, Ta présence est ma joie, 1994, p. 14.
[6] Poésie 77, p. 998.
[7] Lettre 14, à Alice Chervau, p. 237.
[8] Lettre 15, à Valentine Defougues, p. 238-239.
[9] Lettre 16, à Françoise de Sourdon, p. 243.