La Lumière a épousé notre fragilité…
« En entrant dans le temps de l’homme, le vrai Dieu a parcouru nos routes…
non pas avec la splendeur d’un souverain qui assujettit,
mais avec l’humilité d’un enfant… »
Pape Benoît XVI
Le regard est la lumière du visage : un visage sans regard trahit un vide… un peu comme les célèbres portraits du peintre italien Modigliani : une étonnante pureté de lignes, mais des visages clos car des yeux sans pupilles effacent le regard…
Mais Il y a peut-être une porte secrète dans l’interprétation de ces visages de Modigliani : ne veut-il pas nous faire deviner quelque chose de l’ordre de l’insaisissable ! Il aurait dit un jour à Jeanne Hébuterne, étonnée de ne pas voir ses yeux sur son portrait :
« Quand je connaîtrai ton âme, je peindrai tes yeux ! »
C’est une affirmation à la fois surprenante et irréaliste car, en vérité, Dieu seul peut vraiment connaître le mystère de l’âme humaine… mais on reconnaîtra au moins à Modigliani de chercher à exprimer l’insaisissable en privilégiant l’absence ! Et c’est peut-être ce que signifie ce « regard intérieur », au sens de sa célèbre formule : « D’un œil, observer le monde extérieur, de l’autre regarder au fond de soi-même… »
On pourrait d’ailleurs faire ici une sorte de parallèle avec l’approche de la théologie apophatique où, dans la démarche de la foi « Jésus est à la fois un mystère dévoilé et voilé[1] ». Les Pères de l’Orient chrétien en sont les principaux témoins, tel un Maxime le Confesseur qui affirme : « L’Incarnation est un mystère plus inconcevable encore que tout autre. En s’incarnant, Dieu ne se fait comprendre qu’en apparaissant plus incompréhensible… Il reste « caché » dans cette manifestation même ! Même exprimé, c’est toujours l’Inconnu[2]! »
Ce mystère du touchable et de l’insaisissable est si flagrant dans la relation de Jésus avec ses Apôtres : c’est quand ils croient comprendre le Maître que « surgit » tout à coup sa parole mystérieuse : elle les déconcerte autant qu’elle les encourage ! (Jn 16,29-33). Eux, les intimes qui le voyaient et vivaient près de Lui se heurtent déjà comme nous à ce « clair-obscur » dont témoigne Saint Paul : « nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision » (2 Co 5,7). Si bien que dans la manifestation du Christ, il y a assez de lumière pour croire et assez d’ombre pour douter. Mais si La Lumière s’est revêtue de notre fragilité… c’est aussi notre invincible joie comme le constate magnifiquement Benoît XVI :
« Il est alors important de retrouver l’émerveillement face à ce mystère, de nous laisser envelopper par la grandeur de cet évènement : Dieu, le vrai Dieu, Créateur de tout, a parcouru comme homme nos routes, en entrant dans le temps de l’homme, pour nous transmettre sa vie même (1 Jn 1,1-4). Et il l’a fait non pas avec la splendeur d’un souverain, qui assujettit le monde par son pouvoir, mais avec l’humilité d’un enfant[3]… »
A la source de l’émerveillement face au mystère de l’Incarnation, il doit y avoir ce vertige qui pressent «l’abîme » ontologique insondable qui existe entre l’homme et Dieu… car l’Infini est entré dans notre finitude et désormais, je peux le voir, le toucher, l’écouter ! (1 Jn 1, 1-4). Et selon un axiome, inspiré de Saint Augustin[4] : « Il est devenu ce qu’il n’était pas sans cesser d’être ce qu’il est ! » Du coup, l’inattendu Visage humain de Dieu vient bouleverser l’histoire de l’humanité. Car « c’est là que réside la révolution chrétienne : l’Infini s’est rendu rencontrable[5] ! » En Jésus-Christ, Dieu devient visible en sa miséricorde comme l’exprime un texte émouvant du 2° siècle :
« Son Amour pour moi a humilié sa grandeur.
Il s’est fait semblable à moi pour que je le reçoive,
il s’est fait semblable à moi pour que je le revête.
Je n’ai pas eu peur en le voyant
car il est pour moi miséricorde[6] ! »
Il a donc surgi du sein de Marie pour être au milieu de nous si merveilleusement proche, mais en demeurant si mystérieux et caché… La miséricorde du Père l’habite et l’a fait basculer du côté de l’homme en prenant tout de lui, excepté le péché qu’il portera et vaincra sur la Croix pour notre salut ! Et comme l’exprime la splendeur de la liturgie : « Il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels[7] ! »
+M Mickaël
[1] Olivier Clément, Sources – Les mystiques chrétiens des origines, Stock 1982, p.37.
[2] Maxime le Confesseur, Ambigua, Patrologie grecque 91, 1048-1049.
[3] Pape Benoît XVI, Catéchèses sur la foi, Salle Paul VI, 9 janvier 2013.
[4] Sermon 184 pour le jour de Noël.
[5] Benoît XVI, Rimini, 21 août 2008.
[6] Odes de Salomon, 7.
[7] Liturgie de la Messe, préface de Noël.