I2e ROSE
[36] Le Pater, ou l’Oraison dominicale, tire sa première excellence de son auteur, qui n’est pas un homme ou un ange, mais le Roi des anges et des hommes, Jésus-Christ. «Il était nécessaire, dit saint Cyprien[1], que Celui gui venait nous donner la vie de la grâce comme Sauveur, nous enseignât la manière de prier comme Maître céleste ». La sagesse de ce divin Maître paraît bien dans l’ordre, la douceur, la force et la clarté de cette divine prière ; elle est courte, mais elle est riche en instruction, intelligible pour les simples et remplie de mystères pour les savants.
Le Pater renferme tous les devoirs que nous devons rendre à Dieu, les actes de toutes les vertus et les demandes de tous nos besoins spirituels et corporels. Elle contient, dit Tertullien[2], l’abrégé de l’ Évangile. Elle surpasse, dit Thomas à Kempis[3], tous les désirs des saints, elle contient en abrégé toutes les douces sentences des psaumes et des cantiques ; elle demande tout ce gui nous est nécessaire ; elle loue Dieu d’une excellente manière ; elle élève l’âme de la terre au ciel et l’unit étroitement avec Dieu.
[37] Saint Chrysostome[4] dit que celui qui ne prie pas comme le divin Maître a prié et enseigné à prier, n’est pas son disciple, et Dieu le Père n’écoute pas agréablement les prières que l’esprit humain a formées, mais bien celles de son Fils, qu’il nous a enseignées.
Nous devons réciter l’Oraison dominicale avec certitude que le Père éternel l’exaucera, puisqu’elle est la prière de son Fils, qu’il exauce toujours, et que nous sommes ses membres ; car que peut refuser un si bon Père à une requête si bien conçue et appuyée sur les mérites et la recommandation d’un si digne Fils ?
Saint Augustin[5] assure que le Pater bien récité efface les Péchés véniels. Le juste tombe sept fois. L’Oraison dominicale contient sept demandes par lesquelles il peut remédier à ses chutes et se fortifier contre ses ennemis. Elle est courte et facile, afin que, comme nous sommes fragiles et sujets à plusieurs misères, nous recevions un plus prompt secours en la récitant plus souvent et plus dévotement.
[38] Désabusez-vous donc, âmes dévotes qui négligez l’Oraison que le propre Fils de Dieu a composée et qu’il a ordonnée à tous les fidèles ; vous qui n’avez d’estime que pour les prières que les hommes ont composées, comme si l’homme, même le plus éclairé, savait mieux que Jésus-Christ comment nous devons prier. Vous cherchez dans les livres des hommes la façon de louer et de prier Dieu, comme si vous aviez honte de vous servir de celle que son Fils nous a prescrite. Vous vous persuadez que les oraisons qui sont dans des livres sont pour les savants et pour les riches, et que le Rosaire n’est que pour les femmes, pour les enfants et pour le peuple, comme si les louanges et les prières que vous lisez étaient plus belles et plus agréables à Dieu que celles qui sont contenues dans l’oraison dominicale. C’est une dangereuse tentation que de se dégoûter de l’Oraison que Jésus-Christ nous a recommandée, pour prendre les oraisons que les hommes ont composées. Ce n’est pas que nous désapprouvions celles que les saints ont composées pour exciter les fidèles à louer Dieu, mais nous ne pouvons souffrir qu’ils les préfèrent à l’Oraison qui est sortie de la bouche de la Sagesse incarnée, et qu’ils laissent la source pour courir après les ruisseaux, et qu’ils dédaignent l’eau claire pour boire l’eau trouble. Car enfin le Rosaire, composé de l’Oraison dominicale et de la Salutation angélique, est cette eau claire et perpétuelle qui coule de la source de la grâce, tandis que les autres oraisons qu’ils cherchent dans des livres ne sont que de bien petits ruisseaux qui en dérivent.
[39] Nous pouvons appeler heureux celui qui, en récitant l’Oraison du Seigneur, en pèse attentivement chaque parole ; là il trouve tout ce dont il a besoin, tout ce qu’il peut désirer.
Quand nous récitons cette admirable prière, tout d’abord nous captivons le cœur de Dieu en l’invoquant par le doux nom de Père.
« Notre Père», le Plus tendre de tous les pères, tout-puissant dans la création, tout admirable dans sa conservation, tout aimable dans la Providence, tout bon et infiniment bon dans la Rédemption . Dieu est notre Père, nous sommes tous frères, le ciel est notre patrie et notre héritage. N’y a-t-il pas là de quoi nous inspirer à la fois l’amour de Dieu, l’amour du prochain et le détachement de toutes les choses de la terre ? Aimons donc un tel Père et disons-lui mille et mille fois : «Notre Père qui êtes aux cieux ». Vous qui remplissez le ciel et la terre par l’immensité de votre essence, qui êtes présent partout ; vous qui êtes dans les saints par votre gloire, dans les damnés par votre justice, dans les justes par votre grâce, dans les pécheurs par votre patience qui les souffre, faites que nous nous souvenions toujours de notre céleste origine, que nous vivions comme vos véritables enfants ; que nous tendions toujours vers vous seul par toute l’ardeur de nos désirs.
« Que votre nom soit sanctifié. » Le nom du Seigneur est saint et redoutable, dit le prophète-roi, et le ciel, suivant Isaïe, retentit des louanges que les séraphins ne cessent de donner à la sainteté du Seigneur, Dieu des armées. Nous demandons ici que toute la terre connaisse et adore les attributs de ce Dieu si grand et si saint ; qu’il soit connu, aimé et adoré des païens, des Turcs, des Juifs, des Barbares et de tous les infidèles ; que tous les hommes le servent et le glorifient par une foi vive, une espérance ferme, par une charité ardente, et par le renoncement à toutes les erreurs : en un mot, que tous les hommes soient saints parce qu’il est saint lui-même.
« Que votre règne arrive. » C’est-à-dire que vous régniez dans nos âmes par votre grâce, durant la vie, afin que nous méritions, après notre mort, de régner avec vous dans votre royaume, qui est la souveraine et éternelle félicité, que nous croyons, que nous espérons et que nous attendons, cette félicité qui nous est promise par la bonté du Père, qui nous est acquise par les mérites du Fils et qui nous est révélée par les lumières du Saint-Esprit.
« Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Sans doute, rien ne peut se dérober aux dispositions de la Providence divine qui a tout prévu, tout arrangé avant l’événement ; nul obstacle ne l’écarte de la fin qu’elle s’est proposée, et quand nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite, ce n’est pas que nous craignions, dit Tertullien, que quelqu’un s’oppose efficacement à l’exécution de ses desseins, mais que nous acquiescions humblement à tout ce qu’il lui a plû d’ordonner à notre égard ; que nous accomplissions toujours et en toutes choses sa très sainte volonté, qui nous est connue par ses commandements, avec autant de promptitude, d’amour et de constance, que les anges et les bienheureux lui obéissent dans le ciel.
[40] « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. » Jésus-Christ nous enseigne à demander à Dieu tout ce qui est nécessaire à la vie du corps et à la vie de l’âme. Par ces paroles de l’Oraison dominicale, nous faisons l’humble aveu de notre misère et nous rendons hommage à la Providence, en déclarant que nous croyons, que nous voulons tenir de sa bonté tous les biens temporels. Sous le nom de pain nous demandons ce qui est simplement nécessaire à la vie, le superflu n’y est point compris. Ce pain, nous le demandons aujourd’hui, c’est-à-dire que nous bornons au jour présent toutes nos sollicitudes, nous reposant sur la Providence pour le lendemain. Nous demandons le pain de chaque jour, avouant ainsi nos besoins toujours renaissants et montrant la continuelle dépendance où nous sommes de la protection et du secours de Dieu.
« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » Nos péchés, disent saint Augustin et Tertullien, sont autant de dettes que nous contractons envers Dieu, et sa justice en exige le paiement jusqu’à la dernière obole. Or nous avons tous ces tristes dettes. Malgré le nombre de nos iniquités, approchons-nous donc de lui avec confiance et disons-lui avec un vrai repentir : Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez-nous les péchés de notre cœur et de notre bouche, les péchés d’action et d’omission qui nous rendent infiniment coupables aux yeux de votre justice, parce qu’en qualité d’enfants d’un père clément et miséricordieux, nous pardonnons par obéissance et par charité à ceux qui nous ont offensés.
Et « ne permettez pas » à cause de notre infidélité à vos grâces, « que nous succombions aux tentations» du monde, du démon et de la chair. Mais «délivrez-nous du mal », qui est le péché, du mal de la peine temporelle et de la peine éternelle, que nous avons méritées.
«Ainsi soit-il. » Parole d’une grande consolation, qui est, dit saint Jérôme, comme le sceau que Dieu met à la fin de nos requêtes pour nous assurer qu’il nous a exaucés, comme si lui-même nous répondait :
Amen !!! Qu’il soit fait comme vous le demandez, vous l’avez obtenu en vérité, car c’est ce que signifie ce mot : Amen.
[1] S. Cyprianus, De Oratione Dominica, n°1-2, PL4, 537.
[2] Tertullianus, Liber de Oratione « Evangelii Breviarum », C. I, PL 1, 1255.
[3] Thomas A Kempis, Encheridium Monachorum, c. 3
[4] S. Joannes Chrysostomus, Homelia XIX in Mattheum, c.6, PG 57, 278-279.
[5] S. AUGUSTINUS, Sermo 182 De Temf>ore. (Ou mieux: De Civitate. Dei, L. 2X, c. 27, PL 4X, 748 ou: Enchiridion ad Laurentium sive de Fide, Spe et Caritate, c.. 71, PL 40, 265.)
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