Saint Jean, l’apôtre bien-aimé du Seigneur (3) : « Toi qui reposas si souvent sur sa poitrine ! »

Dans son Evangile, Saint Jean nous révèle son attitude d’intimité unique avec le Maître : elle est dévoilée au moment troublant où le Seigneur annonce de manière mystérieuse la trahison de Judas… Là, Jean se définit à travers une tendre proximité avec Jésus :

« Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus. Simon Pierre lui fait signe et lui dit : « Demande quel est celui dont il parle. » Se penchant alors vers la poitrine de Jésus, le disciple lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper ! … » il la prend et la donne à Judas… Après la bouchée, Satan entra en lui… et aussitôt la bouchée prise, il sortit ; il faisait nuit… » (Jn 13,22-30).

On découvre d’abord dans cet Evangile que Saint Pierre reconnaissait cette proximité unique que Jean avait avec le Maître. A travers Pierre, Roc précieux de la foi choisi par Jésus (Mt 16,18), nous est révélée ensuite en Jean, si proche du Cœur de Jésus, la dimension contemplative future de l’Eglise dont la Vierge est la plénitude : sa silencieuse proximité avec Elle, déjà, durant le ministère du Seigneur, le conduira à être le seul Apôtre présent au pied de la Croix. Et c’est pourquoi si Jean est présent au début de la mission apostolique près de Pierre (Ac 4,13-22), il disparaît ensuite après les premières persécutions pour protéger et conduire la Vierge Marie à Ephèse, à l’écart…

Certes, il continuera à évangéliser… mais de manière plus contemplative, comme il le laisse entendre au début de l’Apocalypse avant de témoigner de sa vision bouleversante du Christ glorieux :

« Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la constance, en Jésus. Je me trouvais dans l’île de Patmos, à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je tombais en extase, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix clamer, comme une trompette : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l’envoyer aux sept Eglises… Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait… et je vis comme un Fils d’homme revêtu d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or… ses yeux comme une flamme ardente… et son visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat ! A sa vue, je tombai comme mort à ses pieds… » (Ap 1,9-17).

Cet évènement constituera pour lui une étape décisive : il demeurera l’Apôtre témoin du Seigneur, mais sous une forme plus cachée, contemplative et prophétique dont témoigne son Apocalypse. Car prés de Marie, il entre alors dans le rayonnement silencieux[1] de « la Femme » enveloppée du « Soleil » (Ap 12,1). Et l’on peut affirmer que Jean n’aurait jamais écrit son « Evangile spirituel » s’il n’avait été auparavant « imprégné » par le silence contemplatif de la Vierge. Il a reçu d’Elle, au-delà des paroles, une pénétration unique du mystère de l’Incarnation : en effet, derrière la beauté contemplative de son Evangile et de ses Epîtres, se cache le regard silencieux du Cœur de Marie (Lc 2,19) … et cette profondeur mariale initiée par l’Esprit est passée dans le regard de Jean. Comme l’écrit splendidement un Père de l’Eglise :

« Il faut donc oser dire que, de toutes les Ecritures, les Evangiles sont les prémices et que, parmi les Evangiles, les prémices sont celui de Jean, dont nul ne peut saisir le sens s’il ne s’est reposé sur la poitrine du Seigneur et n’a reçu de Jésus, Marie pour Mère[2]… »

Alors, comment interpréter ce paradoxe johannique où l’Apôtre ne se nomme pas mais se définit comme « Celui que Jésus aimait » en reposant souvent sur son Cœur… (Jn 19,26-27 / Jn 20,2-10 / 21,7.20-23).

Cette expression unique nous touche en même temps qu’elle peut nous interroger ? Pourquoi l’Apôtre se définit-il si intime du Seigneur, au point de paraitre « unique » dans le Collège apostolique ? Il faut d’abord constater que dans les relations humaines, il y a déjà des nuances évidentes en nos vies entre les amis intimes et les connaissances au sens large. On remarquera aussi que si Jean ne se « nomme » pas dans sa proximité avec Jésus, c’est qu’il se veut un simple disciple… Ne sommes-nous pas là devant « un choix d’humilité » qui le fait s’effacer devant l’amour infini du Seigneur ?

Enfin, n’y-a-t-il pas aussi de sa part un enseignement secret pour nous dire que la vie « commence » vraiment quand on regarde « Celui que l’on a transpercé » (Jn19,37). On découvre alors, comme il l’a écrit, que « devant Lui, nous apaiserons notre cœur si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout ! » (1 Jn 3,20).

En conclusion, cela signifie que si « Dieu est Lumière » (1 Jn 1,5) et qu’il opère une vérité libératrice en nos vies, c’est pour nous plonger plus profondément en ce « Dieu qui est Amour ! » Car « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui as envoyé son Fils » (1 Jn 4,10).

Ce mystère a habité très tôt dans le cœur du disciple bien-aimé et à travers les personnages de son Evangile, il veut nous ouvrir la voie vers l’Amour incompréhensible que Jésus nous porte… Souvenons-nous de son dialogue bouleversant avec la Samaritaine (Jn 4,7-47) ou la femme adultère (Jn 8,2-11)  car en vérité, il nous aime tous, chacun et chacune, d’une manière « unique » que l’on commence à découvrir en cette vie et se dévoilera en la vie éternelle !

A travers Sainte Faustine, ne nous dira-t-il pas à en tant que Christ miséricordieux :

« Je veux répandre mes grâces inconcevables sur les âmes qui ont confiance en ma miséricorde (687) … Qu’elles s’approchent de cet océan de miséricorde avec une très grande confiance : les pécheurs obtiendront justification et les justes seront affermis dans le bien (1520) … Les grâces de ma miséricorde se puisent à l’aide d’un unique moyen, et c’est la confiance. Plus la confiance est grande, plus l’âme reçoit ! » (1578)

Ainsi, la « confiance » est le secret ultime pour être sauvé et brûlé par le feu de l’infinie Miséricorde ! Elle seule peut nous plonger dans l’océan de la Miséricorde… La petite Thérèse en a fait le cœur battant de sa voie d’enfance spirituelle :

« Ce qui plaît au Bon Dieu dans ma petite âme, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor !… Restons bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d’amour… Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !… C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour[3]… »

 

+ Marie-Mickaël

 

[1] « La sainteté est plus décisive que le ministère épiscopal, même si celui-ci est indispensable. Il est plus important d’être saint que d’être laïc, consacré, diacre, prêtre, évêque ou pape… Malgré l’importance du ministère de Pierre, Marie est plus décisive que lui pour l’avenir de l’Eglise ! » Monseigneur Léonard, Le cœur de la foi chrétienne, Edition de l’Emmanuel, 2003, p.70.

[2] Origène, Sur l’Evangile de Jean.

[3] Sainte Thérèse de Lisieux, Œuvres complètes, Lettre 197, Cerf-DDB 1992, p.552-553.




Jésus, j’ai confiance en toi !

« Je promets que l’âme qui honorera cette image

ne sera pas perdue… »

Jésus à Sainte Faustine, petit journal 48

 

En cette neuvaine annuelle à la Miséricorde Divine qui commence le Vendredi Saint jusqu’au premier Dimanche après Pâques, il faut surtout ne jamais oublier le cœur du Message : Nulle faiblesse, nul péché, nulle extrême fragilité n’aura jamais le dernier mot en nos vies si nous renouvelons jusqu’au bout « le saut de la confiance » en la Miséricorde ! C’est le grand combat que nous avons tous à mener où notre cœur oscille entre confiance et désespérance, paix et trouble : tel est le grand rendez-vous de nos vies…

Il faut se souvenir ici des promesses extrêmes de Jésus à Sainte Faustine qui jaillissent de son Cœur ouvert sur la Croix (Jn 19,33-35) :

« Peins un tableau selon l’image que tu vois, avec l’inscription : « Jésus, j’ai confiance en toi[1] ! » Je désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis dans le monde entier !

Je promets que l’âme qui honorera cette image ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la victoire sur ses ennemis dés ici-bas, et spécialement à l’heure de la mort. Moi-même, je la défendrai comme ma propre gloire ! »

Petit journal, 47-48

La confiance sans limites et sans cesse renouvelée est donc au cœur de notre combat de la foi. En ce sens, Jésus miséricordieux nous ouvre à travers Sainte Faustine un horizon immense :

« Je veux répandre mes grâces inconcevables sur les âmes qui ont confiance en ma miséricorde… (687) Qu’elles s’approchent de cet océan de miséricorde avec une très grande confiance… (1520) Dis aux âmes qu’elles ne fassent pas obstacle en leur propre cœur à ma miséricorde, qui désire tant agir en elles… Ma miséricorde est à l’œuvre dans tous les cœurs qui lui ouvrent la porte : le pécheur comme le juste ont besoin de ma miséricorde. La conversion comme la persévérance est une grâce de ma miséricorde (1577) … »

La confiance en l’amour miséricordieux de Jésus doit conduire à le rencontrer à travers le mystère des sacrements de l’Eglise : Il y a donc une urgence absolue à vivre en particulier le « sacrement de la réconciliation » en confessant ses péchés au Seigneur à travers son prêtre… là s’opère « le miracle de sa miséricorde » :

« Il suffit de se jeter avec foi aux pieds de celui qui tient ma place, de lui dire sa misère et le miracle de la miséricorde divine se manifestera dans toute sa plénitude… Ô malheureux, qui ne profitez pas maintenant de ce miracle de la miséricorde divine ; en vain vous appellerez, il sera déjà trop tard ! » (1448).

En soi, il n’est jamais trop tard et Jésus, dans son infinie miséricorde, viendra nous chercher jusqu’au dernier instant de notre vie sur terre. Mais le Seigneur veut ici nous « ouvrir les yeux » sur notre mollesse qui, trop souvent, nous fait « reporter à plus tard » l’urgence de notre conversion au présent : et là, grand est le danger que « plus tard » devienne « trop tard » !

Cet éloignement dangereux s’installe sournoisement et tue peu à peu dans le cœur le feu de l’Evangile… là, l’âme s’enferme dans la dureté de l’indifférence et d’une pratique religieuse sans cœur. Là, le vrai « désir de conversion » disparaît au profit d’un intérêt démesuré pour les choses du monde ! Et cela se vérifie à la sainte Messe au moment sacré de la Communion eucharistique :

« Sache ceci, ma fille, que lorsque je viens dans la sainte Communion jusqu’au cœur des hommes, j’ai les mains pleines de toute sorte de grâces et je désire les donner aux âmes, mais les âmes ne font même pas attention à moi, elles me laissent seul et s’occupent d’autre chose. Oh ! comme cela m’attriste que les âmes n’aient pas compris l’Amour. Elles se conduisent envers moi comme envers une chose morte… » (1385).

C’est ici qu’il faut s’inspirer d’une splendide méditation du Cardinal Journet sur la réalité bouleversante de chaque Messe qui rend présent l’unique Sacrifice du Sauveur :

« A chaque fois que les paroles de la Consécration sont prononcées, l’Eglise, représentées par le prêtre et les fidèles, est rendue présente au Sacrifice sanglant : les deux mille ans qui nous séparent de la Croix sont abolis, nous sommes là comme l’étaient la Sainte Vierge et Saint Jean. Et chaque génération peut à son tour s’engouffrer dans l’Offrande éternelle du Christ, offerte pour tous les temps… »

+ Marie-Mickaël

 

[1] Sainte Faustine proposa à Jésus d’intituler le tableau : « Jésus, Roi de Miséricorde ! » Mais le Christ lui répondit qu’il était bien Roi de Miséricorde, mais que ce qui blessait le plus son Cœur était « le manque de confiance envers sa bonté… car la méfiance des âmes me déchire les entrailles ! »




Le regard de Jésus ressuscité : L’Amour infini caché dans chaque instant…

« Ses yeux : une flamme de feu ! »

Apocalypse 1,14

 

Saint Jean de la Croix a cette parole révélatrice de sa contemplation sur Jésus Vivant : « Pour Dieu, regarder c’est aimer ! » Cette permanence de sa Présence, et donc de son Regard qui s’offre à chaque instant, Jésus nous l’a promise juste après sa Résurrection : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ! » (Mt 28,20).

A nous de découvrir ce Regard d’amour caché : Il suffit de fermer les yeux sur l’extérieur et d’ouvrir les yeux de la foi, sur l’intérieur : ce regard du cœur qui découvre peu à peu de vastes horizons que le monde ignore… Alors, comme l’épouse du Cantique, nous entendrons l’arrivée mystérieuse du Christ Epoux :

« J’entends mon bien-aimé… Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. Mon bien-aimé est semblable à une gazelle… Voilà qu’il se tient derrière notre mur. Il guette par la fenêtre, il épie par le treillis… Il me dit : « Lève-toi ma bien-aimée, ma belle, viens ! … car l’hiver est passé… Sur notre terre, les fleurs se montrent… Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre… les vignes en fleur exhalent leur parfum ! »  (Cantique des cantique, 2,8-13)

Être chrétien, c’est avoir découvert cette Présence cachée en plein dans ta vie, au plus profond de ton cœur … car là où tu es, et pas ailleurs, le Seigneur t’attend pour commencer ou continuer la plus belle des aventures : une histoire « unique » et il n’y en aura pas d’autre comme celle-là ! La relation à Jésus ressuscité est « unique » pour chaque personne humaine, et le cri de la prière la révèle : pensons au bon larron crucifié à côté de Jésus… Il se tourne vers lui dans une dernière prière et Jésus lui promet d’entrer au Ciel avec Lui : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ! » (Lc 23,43).

Alors, que la foi priante te fasse pressentir que Dieu est là, caché chez toi, comme t’y invite un Saint Augustin :

« Ecoute le fond de ton être, il y a toujours Quelqu’un[1]… »

Et comme l’affirme Sainte Thérèse d’Avila : « Il tournera vers toi ses yeux si beaux… » Prier, faire l’oraison silencieuse du cœur, c’est se découvrir de plus en plus « intra céleste » … car c’est « croire qu’un Être qui s’appelle l’Amour habite en toi à tout instant du jour et de la nuit[2] ». Jésus t’est « présent » par cet incessant Regard posé sur tout ce qui fait ta vie :

« Dieu te regarde, qui que tu sois. Il t’appelle « par ton nom » (Jn 10,3-4). Il te voit et il te comprend, lui qui t’a fait. Tout ce qu’il y a en toi, il le sait : tous tes sentiments, tes pensées, te inclinations, tes goûts, ta force et ta faiblesse. Il te voit dans tes jours de joie comme dans te jours de peine… Il a compté tes cheveux. Il t’entoure de ses bras et te soutient… Il contemple ton visage, dans le sourire ou les pleurs, dans la santé ou dans la maladie. Il regarde tes mains et tes pieds avec tendresse, il entend ta voix, le battement de ton cœur et jusqu’à ton souffle…

Ce n’est pas seulement que tu fais partie de sa Création, lui qui a souci même des moineaux (Mt 10,29). Tu es une être humain racheté et sanctifié, son enfant… Tu es un de ceux pour qui le Christ a offert au Père sa dernière prière et y a mis le sceau de son Sang précieux…

Qu’est-ce que l’homme, que sommes- nous, que suis-je, pour que le Fils de Dieu « ait de moi un si grand souci » ? (Ps 8,5). Que suis-je pour qu’il m’ait refait à neuf, et pour qu’il ait fait de mon cœur sa demeure[3] ? »

Ces paroles uniques de Newman nous laissent deviner le mystère intemporel de ce Dieu qui se tient toujours au cœur de notre vie : le Regard de Dieu révèle le mystère de sa Présence car ce regard, qui jamais ne se détourne, est le signe silencieux de son infinie miséricorde… qui comprendra ce Regard qui voit tout, qui sait tout… et qui nous offre tant de tendresse ?

Son silencieux Regard infiniment respectueux est le secret ultime qui nous révèle son Cœur transpercé et toujours ouvert sur la Croix… Son Regard, c’est son Cœur ! Tel est le mystère offert à chaque instant à travers les yeux de Jésus Ressuscité…

 

+M-Mickaël

 

[1] Saint Augustin, Commentaire du Psaume 102,2.

[2] Sainte Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, Lettre 330, p.785.

[3] Saint John Henry Newman, A Particular Providence as revealed in the Gospel, PPS vol.3, n°9.




Qui comprendra les larmes de Marie ?

« Il a été transpercé à cause de nos crimes ! »

Isaïe 53,5

                                                

« Près de la Croix de Jésus, se tenait sa Mère… »

Jean 19,25

 

       Juste avant la semaine Sainte, souvenons-nous d’une grande vérité de la foi à contempler : découvrir « un peu » combien Marie, ma Mère, a souffert pour moi au pied de la Croix de Jésus, notre Sauveur…

Souvenons-nous de cet instant sacré où, après avoir expiré, il vient d’avoir le Cœur transpercé. Marie est là, face à Lui… et ce dernier assaut sur le Corps de son Fils achève sa Passion et met en lumière une double vérité du salut :

  • De son Cœur ouvert par la lance jaillit une infinie miséricorde pour l’humanité ! Là, tout est possible pour chaque homme à chaque instant : telle est la plus profonde vérité de la Révélation…

 

  • Marie, toujours vivante et brisée, vit une compassion extrême en son Cœur dont la douleur est abyssale : celle de la Mère de Dieu qui a vu mourir son Enfant-Dieu sur la Croix dans un dernier acte de violence : car s’il est affreux pour une maman de voir souffrir son Enfant innocent et crucifié… il lui est encore plus terrible de constater que juste après sa mort, on blesse à nouveau la chair de sa chair !

C’est cette indicible douleur que chante l’émouvant Stabat Mater :

« Debout, la Mère douloureuse près de la Croix était en larmes devant son

Fils suspendu…

Dans son âme qui gémissait, toute brisée, endolorie, le glaive était

enfoncé…

Quel est celui qui, sans pleurer, pourrait voir la Mère du Christ dans un

supplice pareil ? … »

 

La petite Thérèse, elle aussi, a contemplé la douleur de la Mère :

« Un prophète l’a dit, Ô Mère désolée,

Il n’est pas de douleur semblable à ta douleur ! (Lm 1,12)

Ô Reine des martyrs, en restant exilée,

Tu prodigues pour nous tout le sang de ton Cœur[1]… »

 

Qui comprendra les larmes de Marie ? On est devant un mystère de présence douloureuse si effacé et si intérieur… Il faut se tourner vers le Fils crucifié pour découvrir la puissance cachée du Cœur blessé de sa Mère :

« Ô Jésus, regardez les larmes de Celle qui vous a le plus aimé sur terre

et qui vous aime le plus tendrement au Ciel !…

Vos larmes, Ô Mère douloureuse, anéantissent le pouvoir de l’Enfer[2] ! »

 

Juste avant la semaine Sainte, écoutons avec attention les paroles mariales et évangéliques uniques d’un juif converti : « Les larmes de la Mère des douleurs remplissent l’Ecriture et débordent sur tous les siècles… Car toutes les fois que quelqu’un éclate en pleurs, au milieu de la foule ou dans la solitude, c’est Elle-même qui pleure, parce que toutes les larmes lui appartiennent en sa qualité d’Impératrice de la Béatitude et de l’Amour ! Les larmes de Marie sont le Sang même de Jésus-Christ répandu d’une autre manière, comme sa Compassion fut une sorte de crucifiement intérieur pour l’Humanité sainte de son Fils. Les larmes de Marie et le Sang de Jésus sont la double effusion d’un même cœur… C’est ce qu’exprime les paroles adressées à Sainte Brigitte : « Comme Adam et Eve ont vendu le monde pour une seule pomme, mon Fils et moi, nous avons racheté ce monde avec un seul Cœur [3] ! »

En ce dernier acte de la Passion où le côté de Jésus est transpercé : l’épée de douleur prophétisée par Syméon (Lc 2,35) traverse ici le Cœur de la Vierge à un degré de profondeur que Dieu seul connaît… Marie est en syntonie parfaite avec cette ultime blessure sur le Corps de son Fils tant aimé car, juste avant, la Parole créatrice du Verbe éternel l’a ouverte à une « nouvelle maternité » à travers l’Apôtre bien-aimé (Jn 19,26-27). Et voici que maintenant, le Cœur douloureux de Marie est « résonnance parfaite » du Cœur ouvert de Jésus : le mystère de l’infinie miséricorde s’est dévoilé dans l’indicible douleur des deux Cœurs…

+ M-Mickaël

 

[1] Sainte Thérèse de Lisieux, Œuvres complètes, Pourquoi je t’aime, Ô Marie, Poésie 54, p.755.

[2] Extrait du « chapelet de larmes de la Très Sainte Vierge » – Prière si émouvante et si puissante que l’on peut réciter chaque vendredi en particulier…

[3] Léon Bloy, Les larmes de Marie.




Saint Jean, l’Apôtre bien-aimé du Seigneur ! (2)

     2 – « Tu fus saisis à jamais par le Regard du Maître… »

La première rencontre est le moment où la vie du jeune Jean va basculer…

Ici, il faut laisser résonner en nos cœurs la beauté de cet Evangile où prédomine le silence des regards et la profondeur des paroles : après avoir reçu, la veille, la Révélation de « l’Elu de Dieu » (Jn 1,34) ; Jean, le Baptiste, montre pour la première fois à ses disciples Celui que le monde attendait… et Jean, l’Apôtre naissant, découvre pour la première fois le Visage de son Maître :

« Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ! » Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus… » (Jn 1,35-37).

Nous voici arrivés à un tournant décisif de la mission de Jean-Baptiste où le Précurseur laisse place à la Lumière à travers des paroles ultimes :

« Vous m’êtes témoins que j’ai dit : « Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant Lui. » Qui a l’épouse est l’Epoux… mais l’ami de l’Epoux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’Epoux ! Telle est ma joie, et elle est parfaite ! Il faut que Lui grandisse et que moi, je diminue… » (Jn 3,28-30).

Et le Baptiste conclut en nous plongeant au cœur de la Révélation : à travers la contemplation « Verbe fait chair », il nous dévoile ainsi le mystère de la Très Sainte Trinité ! Il est vraiment le plus grand des prophètes qui nous fait basculer avec une sagesse unique de l’Ancien au Nouveau Testament :

« Celui qui vient d’en Haut est au-dessus de tous… Celui qui vient du Ciel témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et son témoignage, nul ne l’accueille… En effet, Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure… Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui refuse de croire ne verra pas la vie… » (Jn 3,31-36).

On comprend donc que de telles paroles étaient déjà présentes dans le regard du Baptiste lorsque « regardant Jésus qui passait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu[1] ! » (Jn 1,36) Et ses deux disciples suivirent Jésus…

Cet évènement biblique ultime marque, non un abandon des deux disciples vis-à-vis du Baptiste, mais un « passage » de Jean et d’André vers la Lumière… Comme le remarque très justement un moine chartreux : « Puis-je dire qu’ils abandonnent Jean-Baptiste ? Ils restent plutôt avec lui dans la lumière vraie qu’il leur a montrée ; ils restent dans l’esprit de sa mission, de son témoignage… ils lui sont donc fidèles… et ils le prolongent. Le Précurseur qui demeure en avant, dans son rôle, rejoint Jésus en eux et par eux[2] ! » En ce sens, il faut se souvenir ici des paroles décisives de l’Apôtre dans son prologue, synthèse de tout son Evangile :

« Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité ! Jean lui rend témoignage et il clame :

« C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi, le voici passé devant moi, parce qu’avant moi il était… »

Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu… Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, nous l’a fait connaître ! »

(Jn 1,14-18)

Ainsi, cette première rencontre va devenir la plus bouleversante de toute leur vie… Il y a véritablement un avant et un après quand le Seigneur leur fait face : « Jésus se retourna et voyant qu’ils le suivaient, leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Rabbi, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez et voyez ! »  Ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure[3] » (Jn 1,38-39).

Quand Jésus se retourne, les deux disciples voient pour la première fois le Visage du « Verbe fait chair » … Ce premier regard de Jésus sur les deux disciples est un événement « unique » dans leur vie, et de l’ordre de « l’indicible » dans la vie de Jean : il découvre le regard du Dieu fait homme qui s’inscrit à jamais au plus profond de son être : « Jean est entré dans le Cœur de Jésus : il y a pris cette place à part qu’il a ajoutée à son nom pour le compléter et qui est presque devenu son nom propre : « Le disciple que Jésus aimait ! … » Il reposait la tête sur son Cœur, il reposait tout son être dans son amour. Il était là depuis le premier soir où il avait demandé à Notre Seigneur encore inconnu : « Où habitez-vous[4] ? »

Voici donc la première note de son chant d’amour ! Il en témoignera par le chant de toute sa vie que laissent deviner ses écrits sacrés : de la beauté de son

Evangile et de ses Epîtres à la plénitude mystérieuse de son Apocalypse qui donne le sens ultime à toute la Bible !

Nous y reviendrons, mais notons que c’est auprès du Cœur silencieux de Marie, à Ephèse, que s’achèvera la Révélation finale sur Jésus, à travers le regard de la Mère…

+M Mickaël

 

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[1] Paroles uniques reprises à la Sainte Messe quand le prêtre présente l’Hostie sacrée à l’assemblée chrétienne : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché de monde ! » (Jn 1,29)

[2] Dom Augustin Guillerand, Au seuil de l’abîme de Dieu – Elévations sur l’Evangile de St Jean, Rome 1961, p.93.

[3] C’était donc vers 4 heures de l’après-midi : Jean aime situer avec précision les moments décisifs de la Révélation.

[4] Dom Augustin Guillerand, op. cit., p.102.




Petite méditation de Carême sur l’infinie Miséricorde de Dieu…

« Celui qui désire le salut

trouve la mer inépuisable de la miséricorde du Seigneur »

Sainte Faustine

      La miséricorde est le mystère ultime du Cœur de Dieu : il s’est « ouvert » à l’infini pour nous tous sur la Croix. Cette blessure opérée par la lance du soldat romain (Jn 19,33-34) est la dernière et la plus bouleversante Parole du Père à travers le Cœur de son Fils crucifié. Il l’a voulue de toute éternité pour que pas un seul enfant de cette terre ne doute qu’il est aimé à l’infini…

Comment oublier ici la tendresse de Dieu à travers le regard et les larmes de Jésus face à la dureté de Jérusalem :

« Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux… » (Lc 19,41-42)

Et Saint Matthieu précise ce véritable « cri maternel » du Cœur de Dieu :

« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes… et vous n’avez pas voulu ! » (Mt 23,37).

Cet Evangile a tiré des larmes à la petite Thérèse… et quand on prie à Jérusalem dans la chapelle de « Dominus flevit » (« Le Seigneur pleura »), on voit comme Jésus la ville sainte à travers les vitraux. Là, culmine la beauté et le drame de la Révélation : « Dieu est Amour ! » (1 Jn 4,16). Et quand l’Amour n’est pas aimé jusqu’à le crucifier de tant de manières dans l’histoire des hommes, ce cruel rejet génère une blessure secrète dans le Cœur de Dieu :

Elle se laissera voir dans son côté à la fin de sa Passion où « en transperçant le Cœur de Jésus, la lance du soldat a ouvert un grand mystère… car elle est allée plus loin que le Cœur du Christ, elle a ouvert Dieu, elle est passée pour ainsi dire, au milieu même de la Trinité[1] ! »

Ainsi, comme l’enfant perdu de la parabole, nous sommes tous appelés à nous approcher d’une Vérité qui nous échappe … Dès ses premiers pas de retour, il se découvre si « follement » aimé par « le Père des miséricordes » (2 Co 1,3) : « Tandis qu’il était encore loin, son père le vit et fut ému aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers ! » (Lc 15,20).

Cette révélation de la miséricorde de Dieu est une vérité absolue offerte sans cesse à tout homme… c’est pourquoi le Démon déchaîne ici sa plus « violente » tentation sur chaque âme car il sait, lui qui la refuse éternellement, que la miséricorde du Christ « n’exclut personne : ni les pauvres, ni les riches. Car Dieu ne se laisse pas conditionner par nos préjugés humains, mais il voit en chacun une âme à sauver et il est spécialement attiré par celles qui sont considérées comme perdues et qui se considèrent comme telles[2]… »

C’est pourquoi le merveilleux Berger de l’Evangile part toujours à la recherche de la brebis perdue… en laissant sur place les 99 autres. Et quand il l’a retrouvée, son indicible joie est le fruit de sa miséricorde : « C’est ainsi, je vous le dis, qu’il y aura plus de joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes, qui n’ont pas besoin de conversion ! » (Lc 15,7).

Cela laisse entendre que la brebis perdue révèle l’indicible miséricorde du Cœur de Dieu que toutes les brebis doivent découvrir : en effet, éloignées ou apparemment plus près du Berger, toutes les brebis doivent être bouleversées par l’indicible miséricorde de Dieu ! Car en réalité, toutes les brebis sont « perdues » et sont sauvées par la miséricorde de Dieu crucifiée…

Tel est le mystère du salut universel par la foi en Jésus-Christ que Saint Paul proclame avec force : « Avant la venue de la foi, nous étions enfermés sous la garde la Loi, réservés à la foi qui devait de révéler… mais la foi venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue. Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous, en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a plus ni juif, ni grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous ne faites plus qu’un en Jésus Christ ! Et si vous appartenez au Christ, vous êtes donc de la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse… » (Ga 3,23-29).

Comment oublier ici la réaction violente du fils ainé dans la parabole de l’enfant-prodigue : il se met en colère contre son père et considère comme un scandale le festin d’un tel accueil pour son frère pécheur : n’a-t-il pas dissipé l’héritage « avec des prostituées » et son père fait « tuer pour lui le veau gras ! » (Lc 15,30). On notera au passage que sa relation au père très extérieure et que, de fait, il se situe plus au niveau de la loi (Lc 15,9) que de l’amour. La relation filiale au père lui échappe…

Comprenons bien ici que la miséricorde n’efface, ni ne contredit la justice mais qu’elle est le feu imprévisible d’un amour mystérieux qui « dit » Dieu : secret unique de son Cœur, la miséricorde jaillit des profondeurs de la Très Sainte Trinité ! En la contemplant sur la Croix, qui pourra dire jusqu’où va la folle tendresse du Cœur de Dieu transpercé ?

En même temps, il faut ici éviter toute ambiguïté en notant « que la miséricorde de Jésus ne s’exprime pas en mettant la loi morale entre parenthèses. Pour Jésus, le bien est le bien, le mal est le mal. La miséricorde ne change pas l’aspect du péché, mais le brûle d’un feu d’amour… En Jésus, Dieu vient nous donner l’amour et nous demander l’amour[3] ! »

En pardonnant à la femme adultère que les pharisiens voulaient lapider, le Seigneur conclut par une invitation à sortir du péché pour vivre une vie nouvelle dans la lumière : « va, désormais ne pèche plus ! » (Jn 8,11). C’est l’invitation à vivre d’un nouvel amour dans la Lumière du Christ…

La miséricorde est la réalité ultime de la foi et elle est notre dernier rempart face aux ténèbres de la désespérance… Saint Benoît a écrit dans sa célèbre Règle cette recommandation finale : « Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu ! » Et Syméon le Nouveau Théologien lui fait écho dans un texte unique dont le cri poignant traverse le temps :

« Tu connais ma misère… Tu vois ma faiblesse et mon infirmité, Toi qui m’as façonné, mon Dieu… Tu connais tout ! Regarde mon cœur humilié, regarde mon cœur contrit, regarde-moi qui m’approche de Toi dans le désespoir mon Dieu !… Ne tarde donc pas, Miséricordieux, ne détourne pas les yeux…

Dans ton Cœur je m’abrite, derrière ta pitié je me réfugie, c’est ton amour pour les hommes que je t’adresse comme intercesseur ! Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas accompli les œuvres de la justice, jamais je n’ai gardé un seul de tes commandements… mais j’ai passé ma vie toute entière dans la débauche : pourtant, tu n’as pas détourné les yeux, tu m’as cherché et trouvé dans mon errance, tu m’as ramené de la route d’égarement… et sur tes épaules immaculées, jusqu’à la lumière de ta grâce, tu m’as soulevé, Ô Christ, tu m’as chargé, Ô Miséricordieux !… Je proclame ta pitié, je célèbre ta miséricorde, je m’émerveille et je rends grâce à la richesse de ta bonté[4] ! »

A la suite de ce cri bouleversant, puissions-nous laisser résonner à jamais en nos cœurs le chant de la Vierge bénie : « Sa Miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ! » (Lc 1,50).

+M-Mickaël

 

[1] Cardinal Robert Sarah, Dieu ou rien, entretien sur la foi avec Nicolas Diat, Fayard, 2015, p.32.

[2] Pape Benoît XVI, Angélus, 31 octobre 2010.

[3] Benoît XVI, Homélie à Assise, 17 juin 2007.

[4] Syméon le Nouveau Théologien, Hymnes XLI, Sources chrétiennes 196.




A l’écoute des Saints : Saint Jean, l’Apôtre bien-aimé du Seigneur ! (1)

« Ce qui était dès le commencement… »

1 Jn 1,1

 

Voici que nous allons approcher la beauté mystérieuse de l’Apôtre le plus contemplatif et le plus intime de Jésus, au point d’avoir reposé, si souvent, sur sa poitrine… comme pour écouter battre l’Amour du Cœur de Dieu ! (Jn 13,25).  En effet, « Saint Jean reposait sur le sein du Seigneur comme le Seigneur reposait sur le sein de son Père. Cette inoubliable formule, qu’Origène frappa au coin de son génie, proclame la splendeur de l’acte théologique : il est communion au mystère du Dieu vivant, contemplation de son Visage en Jésus-Christ[1]… »

C’est dans cette perspective que nous allons entrer ici dans la méditation des prières quotidiennes à Saint Jean Apôtre. On les retrouve dans notre « Livre de vie[2]» : là, nous est proposé pour chaque jour un texte à la fois évangélique, contemplatif et marial. Laissons résonner en nos cœurs celui du lundi :

« O Saint Jean, Apôtre bien-aimé du Seigneur, (Ap 1,9),

dès le commencement, (Jn 1,1-2 / 1 Jn 1,1-4),

tu fus saisi à jamais par le Regard du Maître… (Jn 1,35-39 / Ap 1,14)

Toi qui reposas si souvent sur sa poitrine… (Jn 13,25)

Toi qui contemplas, près de Notre Dame des larmes,

le mystère insondable de son Cœur ouvert sur la Croix… (Jn 19,25-37)

Par l’intercession de Marie, notre Mère, (Ac 1,14 / Jn 2,1-5)

aide-nous à accueillir, jour après jour,

« l’onction du Saint-Esprit » … (1 Jn 2,18-28)

Fais grandir en nous la certitude de la foi (Lc 18,8)

que « Dieu est Amour » … (1 Jn 4,7-16)

lui qui est « plus grand que notre cœur » (1 Jn 3,20)

et nous connaît en sa Miséricorde … (Jn 21,15-17)

Jean est le « bien-aimé » du Seigneur ! Apôtre particulièrement contemplatif, il laisse deviner son intimité la plus continuelle possible avec ce Dieu qui lui a révélé son Visage et son Cœur… et à travers une mission plus effacée qu’un Pierre ou un Paul, il est cependant un des visages éminent du Collège des douze : « Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru : Dieu est Amour ! » (1 Jn 4,16). Tel est le regard de foi d’une Eglise qui se découvre aimée… Tout part d’une puissance baptismale cachée dans le cœur face à « l’esprit de l’Antichrist » (1 Jn 4,3) : « Vous, petits enfants, vous êtes de Dieu et vous les avez vaincus. Car Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ! » (1 Jn 4,4).

  1. « Dès le commencement… »

L’Evangile rapporte deux approches johanniques du « commencement » :

Le premier commencement est historique. Il se dévoile à la première rencontre avec Jésus après le regard et la parole mystérieuse de Jean-Baptiste qui n’a pas échappé à l’Apôtre : « Regardant Jésus qui passait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ! » (Jn 1,29). A cet instant, la vie de Jean va « basculer » à jamais avec celle d’André, le frère de Simon-Pierre : « Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus… et ils demeurèrent auprès de Lui ce jour-là. » (Jn 1,37-39). C’est cette première rencontre Unique que décrit Jean avec bouleversement au prologue de sa première Epître : un véritable credo que l’on peut répéter inlassablement en entrant peu à peu dans le regard contemplatif de l’Apôtre bien-aimé…

« Ce qui était dès le commencement,

ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux,

ce que nous avons contemplé,

ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ;

car la Vie s’est manifestée…

Nous l’avons vue, nous en rendons témoignage

et nous vous annonçons cette Vie éternelle,

qui était tournée vers la Père et qui nous est apparue… »

(1 Jn 1,1-2)

L’autre commencement de Jean nous projette dans l’éternité au cœur de l’origine de tout. On entre là dans une contemplation unique de la foi qui invite au silence, à la profondeur… car l’Apôtre n’aurait jamais pu écrire de telles lignes sacrées s’il n’avait découvert en Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), le seul Seigneur et Médiateur entre Dieu et les hommes : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé ! » (Jn 1,18). Et c’est de là que Jean se situe pour nous révéler le mystère de la vie de Dieu :

 

« Au commencement était le Verbe

et le Verbe était tourné vers Dieu

et le Verbe était Dieu.

Il était au commencement tourné vers Dieu ! »

(Jn 1,1-2)

Quand on fait référence « au commencement », on pourrait choisir ici de préférer « au Principe » car en fait, « il n’y a pas de commencement… Nous sommes ici à l’origine, à la Source, de toute éternité jaillissante, en deçà de tout commencement, c’est-à-dire de toute création dans le temps[3] » comme l’indique Saint Jean juste après[4]. Nous sommes ici face au mystère éternel tel que l’indiquait déjà le Siracide dans l’éloge de la Sagesse (Si 24,1-9) ou le Livre des Proverbes de Salomon :

« Dès l’éternité, je fus établie,

dés le principe, avant l’origine de la terre…

Avant que fussent implantées les montagnes,

avant les collines, je fus enfantée ;

avant qu’il eût fait la terre

et les premiers éléments du monde.

Quand il affermit les cieux, j’étais là…

J’étais à ses côtés comme le maître d’œuvre,

je faisais ses délices, jour après jour,

m’ébattant tout le temps en sa présence… »

(Pr 8,23-30)

C’est en ce sens qu’un Père de l’Eglise affirme : « Avant le principe, il n’y a rien. Il n’existe pas de commencement du Principe. Si donc le Fils était au principe, on doit conclure qu’Il n’a pas commencé d’exister dans le temps, mais qu’Il EST de toute éternité avec le Père. C’est pourquoi Isaïe a dit : « Sa génération, qui la racontera ? Sa vie échappe à la terre[5] » (Is 53,8).

 

+ Marie-Mickaël

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Notes :

[1] Marie-Joseph Le Guillou, o.p. Préface du livre d’André Feuillet, Le Prologue du quatrième Evangile, DDB 1968, p. 7.

[2] Livre de vie pour les derniers temps, Communion de Refuges du Cœur Immaculé de Marie, Coollibri 2023, p.148 à 151. On peut télécharger l’ensemble du « Livre de vie » sur https.//refugedemarie.fr

[3] Bible Chrétienne, II Commentaires, p.6, Editions Anne Sigier,1988, p.6.

[4] « Tout fut par Lui, et sans Lui rien ne fut ! Ce qui fut en Lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes !» (Jn 1,3-4).

[5] Saint Cyrille d’Alexandrie, Sur Jean 1,1 / Patrologie grecque 73,25.




Jésus marche sur les eaux… et Pierre avec lui : L’Eglise de la fin des temps prophétisée ! …

« Pierre, descendant de la barque,

se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus… »

Matthieu 14,29

 

L’Evangile selon Saint Matthieu est le plus riche sur cette seconde tempête apaisée, et aussi le seul à rapporter l’épisode de Pierre marchant sur les eaux. Dès les premiers versets, ne peut-on d’ailleurs y deviner un dessein secret du Sauveur qui oblige les disciples à traverser le lac sans lui ? Cela se situe juste après la première multiplication des pains où Jésus assume lui-même le renvoi des foules et gravit la montagne pour une prière prolongée en solitude :

« Et aussitôt, il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. » Mt 14,22-23

Ainsi, le décor est campé : Jésus seul priant sur la montagne et la barque des disciples, seuls, « harcelée par les vagues » (Mt 14,24). Et Jean précise : « Il faisait déjà nuit… » (Jn 6,17). Alors surgit tout à coup ce regard de la tendresse de Dieu et sa venue miraculeuse qui n’a pas échappé à Saint Marc[1] : « Les voyant s’épuiser à ramer, car le vent leur était contraire, il vient vers eux à la quatrième heure de la nuit[2] en marchant sur la mer… »  Et ici, comment ne pas remarquer ce trait évangélique : « Il allait les dépasser ! » (Mc 6,48). De fait, il faut saisir qu’il fait semblant de les dépasser… Cela nous renvoie à des épisodes majeurs de l’Ancien Testament où Moïse et Elie en témoignent magnifiquement : Yahvé est « un Dieu qui passe » ! (Ex 33 ou 1 R 19,9-13). Et comme avec les disciples d’Emmaüs, se manifeste à nouveau cette sorte de jeu divin où Jésus passe et semble s’éloigner pour provoquer une réaction, un appel… (Lc 24,28-29). De fait, en méditant cet Evangile, on se rend compte à nouveau combien il faut supplier l’Esprit-Saint d’avoir en permanence « l’intelligence de la foi » pour découvrir les « passages » de Dieu !

Les disciples en sont encore loin car « le voyant marcher sur les eaux, ils furent troublés : « C’est un fantôme ! » disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier ! ». Devant ce trouble, Jésus tente l’apaisement : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » (Mt 14,26-27). Et dans ces moments délicats du ministère messianique, Pierre commence à exercer sa primauté[3] : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ! – « Viens ! », dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus… »

Cependant, si sa foi est réelle, elle est encore fragile : « Mais voyant le vent, il prit peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14,28-31). Cet épisode nous propulse au cœur de l’Evangile en nous questionnant : jusqu’où ira notre foi en Jésus ? Derrière les belles paroles et les attitudes, il y a tout un éventail de degrés dans la puissance de la foi qui nous unit au Christ : « Car ce qui s’impose proprement à la conscience du croyant, ce n’est ni une vérité, ni une valeur, mais une réalité. Laquelle ? Celle du Dieu saint, vivant et se révélant dans le Christ Jésus… Tout cela est réalité, mais d’un autre ordre que le monde, plus réelle que le monde. Avoir la foi, c’est saisir cette réalité, s’unir à elle, se poser sur elle… Ce qui est arrivé à Pierre se répète tous les jours dans la vie du chrétien[4] ! »

Les étapes, les éclats et les chutes de la foi de Pierre nous invitent autant à l’humilité qu’à l’espérance : on n’a pas la foi une fois pour toutes ! Et il faut donc rester dans une grande vigilance et persévérance. Certes, la foi en Jésus est le trésor de l’Evangile mais il y a une croissance de la graine… (Mt 13,31-32). Dans une société du « tout » tout de suite, la patience de la germination est insupportable ! Et pourtant, la vie de Pierre à la suite de Jésus en témoigne clairement : « De tous ceux qui sont dans la barque, seul Pierre ose répondre ; et il prie le Seigneur de lui ordonner de venir sur les eaux… Mais sa peur sur le lac annonçait aussi sa faiblesse dans la tentation future. Car il osa marcher sur l’eau, mais enfonça ; et la crainte de la mort le poussa à renier son Maître. Cependant, il crie quand il enfonce, et il implore du Seigneur le salut. Le fruit de cette clameur fut sa pénitence : car dès ces premières heures de la Passion, il revint à lui pour confesser sa faute, et il reçut le pardon de son reniement avant que le Christ ne souffrît pour la Rédemption universelle[5]… »

C’est ce moment bouleversant où, juste après son reniement, « le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre » et là, « il pleura amèrement ! » (Lc 22,61-62). Seul, Jésus nous sauve des terribles tempêtes de la vie qui peuvent nous emporter vers le fond… Il faut donc toujours revenir à ce cri de la foi de Pierre quand il enfonce dans l’eau : « Seigneur, sauve-moi ! »

Dans la perspective de la fin des temps, on peut cependant se poser ici une question nouvelle : cet Evangile n’évoquerait-il-pas pour l’Eglise « un passage » de la barque visible à la barque invisible ? Cet épisode unique ne prophétiserait-il pas qu’une Eglise visible et identifiable attaquée de l’intérieur se transforme pour survivre… en « une Eglise cachée » dans le silence et la force de la foi ? Et devant la terrible adversité des derniers temps, le cri de Pierre ne serait-il pas en continu celui de l’Eglise universelle éprouvée : « Seigneur, sauve-nous ! » Car marcher sur l’eau durant les tempêtes est l’Eglise sans autre appui que la foi pure : son unique salut est de « regarder sans cesse Jésus » dans la prière et l’amour !

On pose ici ses pieds sur la barque invisible de l’Eglise où seul le saut dans la foi nous tient debout… Cela me fait penser à ce passage du Film « d’Indiana Jones 3 » avec Harrison Ford[6] : il lui est dit à un moment de traverser un précipice dont l’appui est « invisible » : « C’est le saut dans la foi : tu dois y croire ! » Et quand, face au vide, il fait le premier pas : le passage de pierre se matérialise et le sauve de l’abîme ! N’est-ce-pas là l’enjeu de la foi où le premier pas dans le vide apparent est décisif ? On peut faire référence ici à l’intuition majeure de Sainte Thérèse de Lisieux dans sa simplicité mystérieuse :

« C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour[7] ! »

N’est-ce-pas là le grand saut dans la foi ? Thérèse l’a tant saisi et expérimenté qu’elle ajoute dans la même lettre : « Restons bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d’amour… Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens ! … »

Ainsi, à la fin des temps, il faut nous préparer à quitter un certain confort de la foi portée par la barque… et face aux terribles tempêtes eschatologiques, nous nous appuierons sur la barque invisible de la foi, le regard fixé sur Jésus ! Ces défis et ces cris de la foi nous orienterons vers « l’autre rivage » où Dieu nous conduit… car, à travers les épreuves, il veut parfaire cette confiance qui nous immergera dans l’Amour !

Un Saint Bernard nous partage magnifiquement son expérience en ce sens :

« Un jour, Jésus feignait de passer outre, non que ce fut son dessein, mais pour s’entendre dire : « Demeurez avec nous, Seigneur, car il se fait tard ! » (Lc 24,29). Une autre fois encore, marchant sur la mer, il fit semblant de passer outre, voulant éprouver la foi et provoquer la prière des Apôtres. Cette dissimulation, pleine de bonté, qu’a employée le Verbe corporellement visible, l’Esprit ne cesse d’en user à l’égard des âmes. S’il passe, il veut être retenu, et être rappelé s’il s’éloigne. Il va et vient, visitant l’âme le matin, et l’éprouvant ensuite. S’il s’éloigne, c’est de sa part un plan. S’il revient, c’est l’effet de sa seule volonté. Il agit avec sagesse et connaît seul la raison de sa conduite[8]… »

Et dans la mesure où l’Esprit-Saint n’agit jamais sans la Présence de son Epouse, comment ne pas conclure ici par un texte marial sur le Rosaire ? Il est la voie la plus simple et la plus profonde sur le chemin mystérieux de la foi :

N’ayons donc pas peur de la répétition que propose la prière du Rosaire. C’est une répétitivité contemplative qui nous met en harmonie avec le mouvement cyclique de la création… Comme le dit Sœur Lucie de Fatima : « La répétition des « Ave Maria » n’est pas une chose vieillie. Toutes les choses qui existent et ont été créés par Dieu se maintiennent par le moyen de la répétition continuelle des mêmes actes… Le soleil, la lune, les étoiles, les oiseaux, les plantes… et ils sont bien plus anciens que le Chapelet ! Saint Jean dit que les bienheureux dans le Ciel chantent un cantique nouveau, en répétant toujours : « Saint, saint, saint est le Seigneur ! » (Ap 4,8). Et le cantique est nouveau parce que, dans la lumière de Dieu, tout apparaît avec un reflet nouveau[9]! »

Ainsi, cette vigilance du cœur exprimée dans la répétition du chapelet est l’expression d’une foi où le pauvre demande, l’assoiffé cherche et où l’amoureux frappe inlassablement à la porte du Cœur de Dieu ! (Lc 11,9). Il s’agit de désensabler cette source mystérieuse cachée au fond de nous… Le Rosaire vient donc libérer en nous la « Source cachée » ! Chaque « Réjouis-toi » est éclosion de joie parce qu’il nous ouvre à l’éternelle nouveauté de l’Amour offerte à travers le Cœur silencieux de Marie…

+Marie-Mickaël

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Notes

[1] Saint Irénée de Lyon écrivait en 180 : « Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. L’influence de Pierre se lit, paradoxalement, dans la grande humilité de son porte-parole… »

[2] Entre 3 et 6 heures du matin : on peut dire que Jésus se fait attendre… Cela laisse entrevoir la dimension eschatologique de son retour qui, dans les épreuves multiples des derniers temps, « semblera » longue et improbable : on comprend mieux ici pourquoi certains Saints ou Saintes demandaient pour leur foi « la grâce de la persévérance finale ! »

[3] Souvenons-nous ici de la Confession de Pierre après le discours de Jésus sur le Pain de Vie : « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous le croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu ! » (Jean 6,67-69.)

[4] Romano Guardini, Le Seigneur, vol 1, Ed. Alsatia, 1946, p.224-226.

[5] Saint Hilaire, Sur l’Evangile selon Saint Matthieu, Patrologie Latine 9, 1002.

[6] « Indiana Jones et la dernière croisade », 1989, avec Sean Connery et Alison Doody.

[7] Thérèse de Lisieux, Œuvres complètes, Lettre 197, Cerf-DDB 1992, p.553

[8] Sermon 74, Sur le Cantique des cantiques, 3.

[9] Lettre à Maria Teresa de Cunha, 12 avril 1970.




La première tempête apaisée : la barque de l’Eglise menacée… et le peu de foi en Jésus !

Jésus leur dit « Passons sur l’autre rive ! »

 Et ils gagnèrent le large…

Luc 8,22

        Quelle étonnante actualité se dévoile dans cet Evangile de la tempête apaisée ! Car dans l’histoire de l’Eglise comme dans celle de nos vies, il y a toujours cet instant majeur de la foi où le Seigneur marche devant nous en nous adressant cette parole mystérieuse[1] : « Passons sur l’autre rive ! … » Cette invitation à la traversée résonne en nos vies comme un appel à prendre le large… et cet appel du « large » signifie en réalité que pour rester vivante, la foi doit garder le sens de l’aventure : le risque de la traversée n’est pas facultatif !

Croire et suivre Jésus sera d’abord et toujours « beaucoup prier » pour l’écouter et lui laisser « l’initiative de l’orientation » car rien n’est plus dépouillant et épanouissant que de « faire sa volonté » … N’est-il pas allé Lui-même jusqu’au bout de la volonté du Père ? (Mt 6,10).  Elle est sa nourriture de chaque instant ! (Jn 4,34). Mais chez nous, le train-train quotidien de la sécurité matérielle trop souvent nous aveugle ! Et pourtant, au fond de notre cœur résonne toujours le mystérieux appel de Dieu vers le large… car c’est loin du rivage et en eau profonde qu’Il opère des merveilles !

Dans ces tempêtes imprévues de la vie, nous nous sentons perdus comme les Apôtres. Nous pouvons être tentés par le même reproche dont témoigne Saint Marc : « Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons ! » (Mc 4,38). Nous allons périr et tu sembles ailleurs !…  A leur suite, notre prise de conscience majeure est de voir que Jésus est dans la barque : le réveiller par ce cri où résonne à la fois la crainte et la confiance est alors notre seul salut ! Pourtant, on se sent seul, car les éléments déchainés semblent dire le contraire : « Il se produisit un grand tourbillon de vent… et les vagues se jetaient dans la barque !… Or, Lui était à la poupe, dormant sur le coussin. » (Mc 4,37-38). C’est là qu’il faut plonger au fond de notre cœur où la foi dit qu’Il est toujours là ! Le sommeil du Maître nous enseigne profondément :

« C’est l’annonce, dans ce contexte, que Jésus traversera un jour les eaux de la mort et que l’Eglise doit, pleine de confiance, les traverser à sa suite, avec lui, comme les disciples le firent ce jour-là… Le sommeil du Maître signifie de façon exemplaire la confiance que l’homme doit avoir en Dieu : autant par son apostrophe véhémente, Jésus en dormant invite les disciples apeurés à découvrir, à travers son silence ou son absence apparente, la présence de Celui qui peut tout[2] ! »

Dans une situation désespérée, le réveil du Christ révèle tout à coup la puissance impressionnante du Fils de Dieu : « S’étant réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence ! Tais-toi ! » Le vent tomba et il se fit un grand calme… » (Mc 4,39). Ce miracle dévoile l’identité du Christ : il « s’est fait homme », mais il demeure « vrai Dieu, né du vrai Dieu » comme le proclame notre Credo[3]. Car maîtriser les vents et apaiser la mer est une œuvre divine. C’est d’autant plus remarquable ici où Jésus n’invoque pas Dieu comme Jonas, mais « agit par lui-même » !

Ensuite, l’interpellation du Seigneur ne se fait pas attendre… et à travers les Apôtres, elle s’adresse aussi à tous les chrétiens : « Pourquoi avez-vous peur ainsi ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (Mc 4,40). Certes, on peut dire que dans leur peur extrême, ils se sont tout de même tournés vers lui : « Maître, Maître ! Nous périssons ! » (Lc 8,24). Cela signifie qu’il y a un début de foi chez les Apôtres, si fragile et trop humaine soit-elle. Cependant, nous ne sommes qu’au début de l’Evangile et cette foi va se fortifier… plus tard, viendra la célèbre profession de foi prononcée par Pierre au nom de tous les Apôtres : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu ! » (Jn 6,69).

Ainsi, après la peur de périr, la sidération des Apôtres est d’autant plus grande devant ce divin prodige : « Ils furent saisis alors d’une grande crainte. Et ils se disaient les uns aux autres : « Qui est donc celui-ci pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4,41). Ils sont encore dans le questionnement sur l’identité de Jésus, mais Ils se souvenaient sans doute du psaume qui rappelle une telle puissance : « C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer ; quand ses flots se soulèvent, c’est toi qui les apaises ! » (Ps 88,10).                                                                                                                                        +Marie-Mickaël

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Notes

[1] Dans les trois synoptiques : Mt 8,18,23-27 / Mc 4,35-41 / Lc 8,22-25.

[2] Xavier Léon-Dufour, Etudes d’Evangile, p.180 et 163, Seuil 1965.

[3] Credo de Nicée (325) et de Constantinople (381).

Image : tableau de Delacroix




Le mystère de la Miséricorde surprend les anges !…

       Nous l’avons approché précédemment : le temps de l’Extrême Miséricorde touche à sa fin car par son terrible égarement, l’humanité actuelle lui tourne le dos et bascule dans le redoutable temps de la justice ! Il est donc temps de se « convertir » en entrant dans l’Arche du Cœur Immaculé de Marie ! Là, règne la paix de Dieu ! Précisons bien ici que convertir signifie « se tourner » vers la Lumière… c’est la fameuse « métanoïa » évangélique où s’opère un « changement de mentalité », un « retournement », un « bouleversement » où la lumière du Christ envahit peu à peu notre vie par les choix et les orientations visibles de notre cœur ! La conversion à la Lumière se voit dans les actes. Un Saint Jean Apôtre si contemplatif nous y invite avec force en proclamant l’Évangile de la charité :

« Celui qui aime son frère demeure dans la lumière… et nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères !… Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vérité ! A cela, nous aurons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout ! »   (1 Jn 2,10 et 3,14-16-20)

Ces paroles de Jean sont à graver au plus profond de nous… A travers l’humilité et l’espérance, elles expriment notre plus grand combat spirituel[1]. Mais cette lutte doit être devancée et fondée sur la plus grande découverte du mystère de la foi : l’indicible secret de la Miséricorde ! en effet, « elle est comme le deuxième nom de l’Amour, et elle est en même temps la manière propre dont il se révèle et se réalise pour s’opposer au mal qui est dans le monde, qui tente et assiège l’homme, s’insinue jusque dans son cœur et peut « le faire périr dans la géhenne ! » (Mt 10,28) … aucun péché de l’homme ne peut prévaloir sur cette force, ni la limiter[2]… »

En effet, le mystère fou de la Miséricorde divine étonne autant les Anges qu’il bouleverse le cœur des hommes ! La sainte Ecriture le proclame tant de fois : « Seigneur, ta miséricorde est sans mesure ! » (Ps 118,156). D’ailleurs, la signification du mot latin « misericordare » est déjà si éclairante : « Cœur qui se donne à la misère ! » (miseri-cor-dare).

La Sainte Bible renferme deux autres sources lumineuses : tout d’abord à travers le visage de David, figure du Christ, qui exerce vis-à-vis de Saül, son persécuteur, la « Hésed » qui est « une miséricorde d’Elohim » (2 Samuel 9,3). L’autre source est les « Rahamim » : les « entrailles » du Cœur de Dieu qui se révèlera transpercé sur la Croix… (Jn 19,33-34) et dont la blessure se révèle déjà dans son ministère quand il est bouleversé en voyant tant de « brebis sans berger ! » (Mt 9,36). L’Evangile de Luc en témoigne magnifiquement par le regard de Jésus sur la veuve de Naïm (Lc 7,13) ou le retour de l’enfant prodigue ! (Lc 15,20).

Cette folle et indicible miséricorde de Dieu est presque toujours incompréhensible aux yeux de l’homme pécheur, voire révoltante ! On aimerait que le Dieu du Ciel se bouge et exerce sur terre sa puissante justice face à la violence et l’horreur des hommes ! Mais lui, attaché à la Croix, s’offre pour tous les sauver… et il ose cette parole qui traverse l’histoire : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23,34).

N’est-ce pas donc sur la Croix que tout est dit ? N’est-ce pas sur la Croix que Dieu révèle son Visage et son Cœur ? Tel est le mystère central de la foi à longuement contempler… et il faut bien saisir ici que « le don du Saint-Esprit, c’est de savoir regarder le Christ en Croix comme la la manifestation du secret le plus intime de Dieu, celui de son amour pour nous… Les impies « vident crucem, non vident unctionem », ils voient la Croix, ils ne voient pas l’onction, c’est-à-dire le Ciel. Si nous voyons la Croix sans voir le Ciel, nous sommes en danger de perdre la foi comme les Apôtres. Il faut demander la grâce de sentir le Ciel à travers le regard du Christ nous disant : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le Paradis ! » (Lc 23,43). Jésus nous a ouvert les portes, et nous pouvons être possédés dès maintenant par sa gloire dans l’obscurité de la foi. Alors, nous commençons à entrevoir le mystère de la Miséricorde[3]… »

Comment ici ne pas laisser résonner les paroles de feu de Sainte Faustine qui nous ouvrent les portes de la Miséricorde :

« Oh, comme la bonté de Dieu est grande, plus grande que ce que nous pouvons en concevoir. Il y a des moments et des mystères de la miséricorde divine à la vue desquels les Cieux sont surpris ! »

La miséricorde de Dieu est plus forte que notre misère. Une seule chose est nécessaire : que le pécheur entrouvre, ne serait-ce qu’un peu, les portes de son cœur aux rayons de la miséricorde divine, et Dieu fera le reste…

La perdition est pour l’âme qui veut se perdre, mais celui qui désire le salut trouve la mer inépuisable de la miséricorde du Seigneur. Seule l’âme qui le voudra elle-même sera damnée, car Dieu ne condamne personne…

Même si j’avais eu sur la conscience les péchés de tous les damnés, je n’aurais pas douté de la miséricorde de Dieu, mais, le cœur contrit, je me serais jetée dans l’abîme de ta miséricorde ! Je crois, O Jésus, que tu ne m’aurais pas repoussée loin de Toi ! Car l’âme rend la plus grande gloire à son Créateur lorsqu’elle se tourne avec confiance vers la miséricorde divine[4]… »

Alors, pour répondre au cri bouleversant de Sainte Faustine, laissons-nous toucher par cette parole de Saint Augustin où résonne le cri de toute sa vie, et surement de la nôtre :

« Tard je t’ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t’ai aimée. C’est que tu étais au-dedans de moi, et, moi, j’étais en dehors de moi… Tu m’as touché, et je brûle du désir de ta paix !…  Quand je te serai attaché de tout mon être, il n’y aura désormais nulle part pour moi de douleur et de fatigues ; ma vie, toute pleine de toi, sera alors la véritable vie…

Toute mon espérance n’est que dans l’étendue de ta miséricorde[5] ! »

                                                                                                       +M-Michaël

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Notes

[1] Ce combat spirituel s’actualise dans la prière la plus puissante et la plus apaisante : le Rosaire quotidien de la Vierge, don de son Cœur Immaculé, qui est la porte ouverte sur la prière continuelle… Vient ensuite la vie sacramentelle à travers la Confession des péchés et le trésor de la Sainte Eucharistie ! Et plus l’amour de Dieu nous habitera, plus grande sera alors l’attention aux autres dans la charité fraternelle ! Saint Jean est formel : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas ! » (1 Jn 4,20).

[2] Saint Jean-Paul II, Encyclique Dives in Miséricordia, Dieu riche en miséricorde, 1980, n°7.

[3] Marie Dominique Molinié, Qui comprendra le Cœur de Dieu, Saint Paul 1994, p.152-153.

[4] Le Rosaire, textes de Sainte Faustine, Petit Journal, Monastère de Chambarand, 1997, p.36-37.

[5] Saint Augustin, Les Confessions, Chapitre 27-28-29.