Trois enfants choisis par Marie
Extrait du livre Mon Coeur Immaculé triomphera, Fatima, révélation des derniers temps, Marie-Michel, Editions du Jubilé 2017.
« Si je pouvais mettre dans le cœur de tout le monde
le feu que j’ai là, dans la poitrine, et qui me brûle
et me fait tant aimer le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie ! »
Bienheureuse Jacinthe
L’histoire des enfants de Fatima est simple et joyeuse, douloureuse et glorieuse : elle est un reflet très pur des Evangiles. Il faut y deviner, à travers leurs personnalités bien distinctes et leur communion étonnante, l’œuvre de l’Esprit qui se déploie jour après jour dans le cœur des enfants de Marie qui écrivent des pages étonnantes dans l’histoire de l’Eglise contemporaine.
A l’origine, il faut situer aussi le sens mystérieux que porte le nom de Fatima car il y a « une histoire – ou légende – selon laquelle, au XII° siècle, des chevaliers chrétiens ayant triomphé d’un groupe de cavaliers musulmans, le roi de Portugal donna en mariage au vainqueur la fille du vaincu, Fatima, qui se convertit peu après… Ces faits, même idéalisés, reposent cependant sur un fond de vérité providentiel, quand on sait qu’à l’origine, Fatima est la fille du Prophète, Mahomet. Marie est sans doute venue à la rencontre de l’Islam, des croyants au Dieu unique, et, à travers eux, à la recherche de toutes les religions du monde, pour les amener, dans l’unité, à confesser le seul vrai Dieu. Ce caractère universel de la préoccupation de la Mère du genre humain, à Fatima, est fondamental : Marie est en quête de toutes les brebis égarées : chrétiens, athées, hétérodoxes, pécheurs[1]… » Ainsi, ce caractère urgent et prophétique du message de Marie à Fatima nous fait entrer dans une accélération impressionnante de la fin des temps. Là, des pages de l’Apocalypse s’actualisent comme jamais dans ce grand combat qui a commencé et s’intensifie entre « la Femme revêtue du soleil » (Ap 12,1) et « un énorme Dragon rouge feu » (Ap 12,3).
Lucie : la messagère infatigable !
Tout d’abord Lucie Dos Santos qui a dix ans au moment des événements surnaturels. Lucie est véritablement l’aînée des trois et va porter le poids des épreuves et des contradictions juste après la première Apparition. C’est elle qui dialogue uniquement avec la Vierge et reçoit ses demandes. C’est aussi elle qui, sur indication de Marie, restera sur terre non sans douleur, pour être le témoin universel du message de Notre Dame de Fatima.
Après un temps de formation et un autre temps de vie religieuse chez les Sœurs Dorothées où elle fera profession, Lucie sentira l’appel du Carmel qu’elle portait à l’origine. Elle pourra devenir, grâce à un recours à Pie XII, carmélite cloîtrée au Carmel de Coimbra en plein centre du Portugal. Elle vivra 57 ans dans ce couvent et sur la porte de sa cellule était inscrite la parole que la Vierge lui adressa : « Mon Cœur Immaculé sera ton refuge ! » A travers sa prière et plusieurs écrits connus mondialement, elle a témoigné des Apparitions de Fatima et de leurs conséquences : fidélité au chapelet quotidien et sacrifices pour sauver la paix du monde. Selon la mission que lui donna la Vierge, Sœur Lucie a été sa messagère infatigable : « Elle avait une manière spéciale pour raconter l’histoire de Fatima, sans parler d’elle, et les enfants étaient captivés par ses paroles… Elle portait en elle un feu qui la brûlait[2] ! » Et quand elle est partie au Ciel, voici le témoignage officiel de sa Prieure carmélite sœur Maria-Celina :
« Quand l’Evêque entra, je lui ai dit que notre chère sœur était sur le point de nous quitter… et Mgr Albino improvisa quelques invocations :
– Que Jésus-Christ t’accueille, lui à qui tu as donné ta vie !
– Que Notre Dame t’accueille, elle qui est plus brillante que le soleil et qui t’est apparue !
– Que l’Ange du Portugal t’accueille, lui qui t’est apparu !
– Que les Bienheureux François et Jacinthe t’accueillent eux qui ont vu avec toi la Vierge !
Il est impossible de décrire l’atmosphère de paix qui régnait à ce moment là. Son regard, qui en cette vie s’éteignait, s’apprêtait à voir la Lumière éternelle de Dieu. Soudain ses yeux, qui tant de fois avaient contemplé l’Invisible, s’ouvrirent. Elle regarda chacune de ses sœurs. Puis elle tourna les yeux vers la droite et fixa les miens. Je ne parviens pas à décrire la profondeur de son regard. Il était impressionnant… « dans ses yeux brillaient une lumière intense que je porte en mon âme[3] ». Puis elle ferma les yeux. Ce fut là son adieu. Sœur Marie-Lucie venait de quitter sa dépouille mortelle pour « suivre – avec la légèreté de l’éternelle jeunesse – l’Agneau là où il va, en chantant le cantique nouveau ». Les trois pastoureaux se retrouvaient au Ciel. C’était le 13 février 2005, à 17h25. Je voudrais rester là, en prière, dans cette cellule… qui fut témoin d’une vie de don de soi, de sacrifice et d’oblation pour le monde… et qui fut le petit sanctuaire de son intimité avec sa Mère, avec son divin Epoux divin… Combien de fois Notre Dame est-elle venue ici[4] ? »
Lors de ma dernière visite à sœur Maria-Celina au Carmel de Coimbra, je n’oublierai jamais le partage bouleversant qu’elle me fit de ces derniers instants lumineux de Sœur Lucie qui la marquèrent à jamais, et moi avec !
Avant de nous arrêter quelque peu sur les visages de François et Jacinthe, il faut se souvenir ici d’un fait surnaturel pour comprendre la mission différente des trois enfants. La Vierge le leur révéla dès l’Apparition du 13 juin : « Jacinthe et François, je les emmènerai bientôt. Mais toi, tu resteras ici quelque temps. Jésus veut se servir de toi pour me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé[5] ». A la fin de cette seconde Apparition, la Vierge ouvrit les mains et montra son Cœur entouré d’épines qui paraissaient s’y enfoncer… et le faisceau lumineux enveloppa les enfants de telle sorte que François et Jacinthe paraissaient être dans la partie qui s’élevait vers le Ciel et Lucie dans celle qui se répandait sur la terre. Cela s’est réalisé très précisément puisque François est parti au Ciel le 4 avril 1919 et Jacinthe le 20 février 1920. Lucie, elle, s’envolait 85 ans plus tard !
Bienheureux François : l’humble contemplatif…
Le petit François est un enfant très attachant dont la conduite humble et pacifique traverse toute sa vie. Il a 9 ans. Dès la première Apparition et, après les visites de l’Ange, il va vivre une épreuve : car à chaque Apparition, Lucie va voir et dialoguer avec la Vierge, Jacinthe, elle, voit et entend mais garde le silence ; François, lui, voit mais n’entendra jamais les paroles de Marie que lui rapporteront les deux fillettes après chaque Apparition. Mais le 13 mai 1917, François ne voit ni n’entend la Dame et il en est troublé.
Alors, Lucie s’en étonne : « Comment se fait-il que François ne vous voit pas ? » Et la réponse de la Dame est claire : « Dis-lui de réciter le chapelet et il me verra aussi ! » Lucie fait la commission et François accueille de suite l’invitation de la Vierge… et au bout de quelques Ave, il voit aussi la Dame ! Cet épisode très réaliste fonde dans la vérité évangélique les Apparitions de Fatima où la Vierge situe d’abord sa venue dans la conversion à la prière. François, dans sa si belle âme, en tirera toutes les conclusions au quotidien et on le verra désormais dire seul de nombreux chapelets.
François était tolérant, pacifique et bienveillant. Il avait compris très tôt que les discussions où l’on finit par s’opposer coupe de la paix intérieure et que « la plus grande victoire n’est pas le fait de vaincre les autres, mais de nous vaincre nous-mêmes… et parmi les trois bergers, François semble être celui qui a le plus profondément saisi le surnaturel de Fatima. La vie de François contemplatif est un appel aux âmes contemplatives, ces âmes qui se laissent pénétrer par Dieu et qui plongent profondément dans son mystère ; des âmes qui font du silence l’espace vital de leur relation à Dieu. Par elles, Dieu devient présent au milieu des hommes. Bien nécessaires sont ces âmes, afin que le désert de Dieu devienne oasis. François les appelle. Il était charmant de le voir assis sur les hauts rochers, jouer de la flûte et chanter :
« J’aime Dieu dans le Ciel.
Je l’aime aussi sur la terre,
j’aime les fleurs et la campagne,
j’aime les brebis de la montagne[6]. »
Le petit François est un authentique contemplatif qui savait voir dans la beauté de la création les traces de Dieu. Il avait un amour spécial pour les oiseaux qu’il protégeait et nourrissait en émiettant pour eux son pain. Un autre trait de sa personnalité est cette dimension de vérité et d’absolu que les Apparitions de Notre Dame sont venues ouvrir en Lui. Cela transpire nettement dans un dialogue où un jour deux dames s’entretenaient avec lui sur son avenir :
– Tu veux être charpentier ? lui dit l’une d’elles.
– Non, Madame.
– Tu veux être militaire ? lui dit l’autre.
– Non, Madame.
– Tu ne voudrais pas être médecin ?
– Non plus.
– Moi je sais bien ce que tu voudrais… Être prêtre !
Dire la Messe, confesser… prêcher ?
– Non, Madame, je ne veux pas être prêtre.
– Alors qu’est-ce que tu veux être ?
– Je ne veux être rien !… Je veux mourir et aller au Ciel[7] ! »
Ce sens de l’absolu qui fait du passage sur terre une préparation pour le Ciel nous fait un bien immense. Dans une civilisation matérialiste qui veut nous voler notre finalité, nous avons besoin d’être libérés de nos chaînes multiples et éveillés fortement à notre devenir glorieux dans le Christ. Dès la première Apparition, quand Lucie demande à la Vierge : « D’où êtes-vous ? » Elle répond : « Je suis du Ciel ! »
En écoutant François sur les différentes Apparitions, on discerne en son témoignage un sens théologique très sûr et un élan mystique admirable fondé sur la vérité de l’Evangile : « J’ai beaucoup aimé voir l’Ange… mais j’ai aimé encore plus Notre Dame. Ce que j’ai aimé le plus a été de voir Notre Seigneur dans cette lumière que Notre Dame nous a mise dans la poitrine. J’aime tellement Dieu !… Nous étions là à brûler dans cette lumière qui est Dieu, et nous ne nous consumions pas. Comment est Dieu ! On ne peut pas le dire ! Oui, vraiment, personne ne pourra jamais le dire[8] ! »
Bienheureuse Jacinthe : l’écho ardent du Cœur Immaculé !
La petite Jacinthe a sept ans lors de la première venue de la Vierge le 13 mai 1917. Susceptible, boudeuse et très directive, elle n’avait pas un relationnel facile avec les autres. Et en plus d’être boudeuse, elle tenait à ce qu’elle avait ! Lucie avoue d’ailleurs qu’elle lui était parfois « assez antipathique » ! Mais elle ajoute très vite que Jacinthe « avait déjà bon cœur et que le Bon Dieu l’avait douée d’un caractère doux et tendre, qui la rendait en même temps aimable et attirante… » Et Lucie ajoute cette précision qui prépare mystérieusement le trio aux Apparitions : « Je ne sais pourquoi Jacinthe, avec son petit frère François, avait pour moi une prédilection spéciale et me recherchait presque toujours pour jouer[9]… »
Jacinthe est véritablement le témoin aimant et passionné du Cœur Immaculé de Marie. Après les promesses de la Vierge Marie à Lucie qui devra rester plus longtemps sur terre, elle en tire des conclusions qui révèlent l’ardeur mariale de son cœur : « Cette Dame a dit que son Cœur Immaculé serait ton refuge et le chemin qui te conduirait jusqu’à Dieu. N’aimes-tu pas cela beaucoup ? Moi, j’aime tant son Cœur ! Il est si bon ! » Et Jacinthe ajoutera : « J’aime tellement le Cœur Immaculé de Marie ! C’est le Cœur de notre petite Maman du Ciel ! N’aimes-tu pas répéter souvent : « Doux Cœur de Marie », « Cœur Immaculé de Marie ? » Moi, j’aime ça tellement, tellement[10] ! »
Jacinthe sera aussi très ferme sur la réalité des Apparitions quand Lucie sera si éprouvée dans sa famille et face au curé. Décidée de ne plus revenir après la première Apparition, elle pense que c’est une tentation du démon qu’elle voit une nuit déployer ses griffes pour l’entraîner en enfer. Mais quand elle en parle de ses doutes à ses cousins, Jacinthe lui répond avec une forte conviction : « Non, ce n’est pas le démon, non ! On dit que le démon est très laid et qu’il est en dessous de la terre, en enfer. Cette Dame est si belle ! Et nous l’avons vue monter au Ciel[11] ! »
D’autre part, Jacinthe va devenir un témoin bouleversant de l’urgence du salut. Elle qui aimait tant jouer va maintenant « jouer » toute sa vie pour sauver les pécheurs. Après la terrible vision de l’enfer révélée par la Vierge aux trois enfants, « l’âme de Jacinthe est entrée dans une grande passion : « celle de souffrir pour la conversion des pécheurs, afin que ceux-ci ne tombent pas en enfer…
– Pourquoi ne veux-tu pas jouer ? lui demandait Lucie.
– Parce que je réfléchis. La Dame nous a dit de faire beaucoup de sacrifices pour la conversion des pécheurs… et Elle a dit aussi que beaucoup d’âmes allaient en enfer… nous devons prier et faire beaucoup de sacrifices pour les pécheurs, les pauvres[12] ! »
Vers la fin, elle confie en quelque sorte à Lucie sa découverte de la mission de Marie dans l’histoire du salut qui s’accélère : « Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie ; que c’est à elle qu’il faut les demander ; que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère avec Lui le Cœur Immaculé de Marie ; que l’on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c’est à Elle que Dieu l’a confiée[13].» Alors, suivons Jacinthe sur le chemin de la prière et de l’amour. La paix du monde est entre nos mains à travers le chapelet et les petits sacrifices quotidiens.
Dans les derniers sacrifices à l’hôpital, elle a cette parole si forte qui devrait bouleverser nos cœurs endormis : « Si les hommes savaient ce qu’est l’éternité, ils feraient tout pour changer de vie[14] ». Jacinthe ira jusqu’au bout de son sacrifice dans sa passion de sauver les pécheurs. Elle mourra « seule » sur son lit d’hôpital, et comme c’est magnifiquement décrit dans le film récent sur Fatima « le 13° jour », des larmes de sang couleront sur son visage… la dernière signature de son amour pour nous avant l’entrée au Ciel.
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NOTES
[1] Bernard Balayn, Fatima – Message extraordinaire pour notre temps, Téqui, 1987, p.26.
[2] Carmel de Coimbra, Un chemin sous le regard de Marie, Biographie de Sœur Lucie de Fatima, Parvis 2016, p.288.
[3] Interview dans Zenit.org, 25 septembre 2007.
[4] Mère Maria Célina de Jésus crucifié, Sœur Lucie – Souvenirs sur sa vie, Carmel de Coimbra, 2005, p.42-43.
[5] Joaqim Maria Alonso, Fatima – Message et consécration, Ed. Missoes Consolata, Fatima 1989, p.12.
[6] Mgr Alberto Cosme do Amaral, Evêque émérite de Leira-Fatima, Bienheureux François et Jacinthe, Parvis, 2000, p.13.
[7] Père De Marchi, Témoignages sur les Apparitions de Fatima, Ediçoes Missoes Consolata, 2000, p.213.
[8] 4° mémoire, Mémoires de Sœur Lucie, Père Luis Kondor, op. cit.
[9] Mémoires de Sœur Lucie, , Compilation Père Luis Kondor, Grafica de Coimbra, Août 1997, p.22.
[10] 3°mémoire, op. cit., p.112-113.
[11] Mémoires de Sœur Lucie,, Compilation Père Luis Kondor, op. cit., p.72.
[12] Alberto Cosme do Amaral, Evêque émérite de Leira-Fatima, Bienheureux François et Jacinthe, op. cit., p.23.
[13] 3°mémoire, p.117.
[14] Père De Marchi, Témoignages sur les Apparitions de Fatima, op. cit., p.251.