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La Salette : réflexions sur l’apparition

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Le danger de mort de l’apostasie

On a beaucoup écrit sur la Salette. Suivons Claudel sur la voie du  » SYMBOLISME DE LA SALETTE  » :
« On est obligé de l’avouer : le message de la Salette laisse à première vue décontenancé. Quoi ! la Mère de Dieu a quelque chose de si important à nous dire, il s’est passé chez son peuple quelque chose de si intolérable, qu’il lui faut elle-même se déranger au mépris de la nature, pour nous donner avertissement. Elle parle, et de quoi s’agit-il ? De jurons de charretiers qui ne savent ce qu’ils disent, d’infractions à des lois disciplinaires qui n’entraînent pas une perversion profonde de l’âme.Il faut qu’il y ait eu autre chose. – Notons d’abord que la gravité d’une offense s’évalue non pas seulement sur l’intention de celui qui la commet ni sur le dommage causé mais sur la qualité de la personne à l’égard de qui elle a été commise. Or, que signifient ces blasphèmes, cet oubli des commandements de l’Eglise, sinon les signes appropriés à des intelligences rustiques, de la grande apostasie du XIXème siècle, qui des couches supérieures de la Sorbonne en gagne les bases profonde, et qui peut se formuler ainsi : tout s’arrange très bien sans le bon Dieu. »
A travers les offenses que le peuple des fils inflige à son Père : à son Nom, insulté sur les routes ou dans les champs, à son Jour consacré dès la Genèse, et au sacrifice du Fils unique commémoré parmi de nouvelles railleries, tandis qu’on tourne le dos à la pénitence liturgique, Marie pleure sur la déchristianisation de tout « son peuple »: sur l’endurcissement de cœur du peuple élu et ses conséquences inaperçues. A cette Eglise oublieuse de ses grâces et promesses, comme les Prophètes à Israël infidèle, la Dame montre du doigt les calamités qui en résultent -révolte de la nature en retour de celle de l’homme- . Avec Moïse elle voudrait pourtant lui donner, si on se convertissait, l’abondance de la Terre promise. Pressée par la tyrannie du péché bien que fondue dans la lumière divine, la Vierge (couronnée de roses aux couleurs françaises) pleure sur son peuple comme Jésus sur Jérusalem ou Lazare (Jn 11,36), et les chrétiens peuvent dire d’elle comme de son Fils :
« voyez comme elle nous aime ! » Son amour maternel nous porte dans son coeur : la peine qu’elle se donne pour nous est incessante, la miséricorde divine est infatigable et inouïe chez elle.
Enfin, à l’heure où se trament l’athéisme et les révolutions -La Salette est à son berceau, Fatima sera à son explosion-, avant d’être emportée de son poste de vigie au centre de l’Europe, sur le sommet où le Père guette par elle le retour des fils perdus, la Vierge fixe les yeux vers l’Orient, du côté de Rome et de son nouveau Pontife. (Mélanie a précisé de quel côté Marie était tournée quand elle s’est élevée pour disparaitre, et c’était vers Rome).
La mort spirituelle des chrétiens retournant au paganisme et vivant comme des bêtes (« comme des chiens »), c’est donc la première et triste nouvelle de Marie : nouveau Calvaire de ses autres fils. Une vraie mère ne peut davantage cacher ses larmes, qu’omettre d’interpeller vivement ses enfants. S’ils ignorent le danger ou s’ils le méprisent, ne sont-ils pas davantage en péril ? Un des premiers rôles de l’Esprit-Saint, médecin qui soigne, redresse, fortifie, guérit, est de diagnostiquer la maladie : le péché est la pire (cf. Jn 5, 14). Jean Paul Il a rappelé la force et l’urgence chrétienne d’une telle catéchèse de l’Esprit par l’encyclique « DOMINUM ET VIVIFICANTEM » (N » 27). Ce procès du mal radical est le propre de l’Esprit divin, qui apprend à l’homme ce qui
dépasse son expérience. L’Esprit-Saint est aussi apte à lui donner un nom que le voyant a signaler l’obstacle à l’aveugle (cf.Lc 6, 39).
La dénonciation du péché est une tâche cruciale du prophète, dont les mots évoquent l’absolue négativité. Dans l’Ecriture, les critiques du mal sont des diatribes. L’idolâtre se prostitue (1 ch. 5, 25; Ap 2, 20 … ), l’impie est une gueule dévorante, et l’hypocrite, une pourriture ou une vipère. Quand les mots ne suffisent pas, on a recours aux actes : Elie foudroie ses ennemis, Mattathias fond sur le renégat (2 M 2, 25) et le Christ miséricordieux chasse au fouet les vendeurs du temple. Une chose est le péché par ignorance des païens ou du peuple Juif, voire, de tant de chrétiens de nom, et une autre, celui des pasteurs : eux qui sont sel de la terre et lumière du monde (Mt 5, 13-14).

Notre Réconciliatrice.

Les symptômes de l’apostasie moderne, si graves soient-ils, et les malheurs qui s’y rattachent mystérieusement ne peuvent cependant pas être la principale nouvelle de la Salette.
« Si nous sommes infidèles, Dieu reste fidèle, » (2 Tim 2,13) proclame Mgr De Bruillard : « son bras ne s’est pas raccourci, sa puissance est la même aujourd’hui que dans les siècles passés. »
C’est donc pour nous sauver qu’après les prophètes, les apôtres, les saints, et l’apparition à la sœur anonyme de la rue du Bacc, Dieu envoie publiquement, au moins devant deux (La Salette) ou trois (Fatima) témoins , la Mère de son Fils. Les Bergers de La Salette évoqueraient-ils aussi les messagers de la grande Nouvelle d’Emmaüs? A la Salette, Marie paraît sortir du silence de la longue attente : pleurant au ravin de la Sezia comme les Juifs au bord des fleuves de Babylone, elle se lève et montre les signes glorieux de sa propre compassion : intercession maternelle infinie dans la puissance divine … Puis elle gravit son chemin de croix, et s’élève enfin aux yeux des enfants, leur laissant son esprit en partage comme Elie à Elisée, et le Christ aux apôtres.

Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse Ne s’interpose-t-elle pas en Réconciliatrice, ne continue-t-elle pas ‘à prendre sur elle, avec son Fils, les offenses faites à Dieu ? Unie à jamais au bras du Seigneur, elle est Juge de son peuple avec Déborah, et mère comme Rachel. Et lorsque le développement du salut dans l’histoire semble compromis, elle monte sur la haute montagne comme Moïse et s’imprègne de la lumière divine, précise aux hommes le phare de la nouvelle qui les guide, boit avec David au torrent des cœurs purs, et relève la tête. Sur les pas de la reine Esther, celle qui se tient auprès du Sauveur poursuit sa plus grande intercession. Pour être soutenue par les siens (cf. Is 4, 18), elle en fait porter la nouvelle « à tout son-peuple », nouvelle qu’il n’y a qu’à accueillir, méditer, remercier : Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j’ai prise pour vous autres.
La montagne s’étant bientôt couverte de pèlerins, à cette glorieuse souffrante, prêtres et fidèles ont donné le grand nom de « RECONCILIATRICE DES PECHEURS ». Ce vocable approuvé ne figure pas dans le message public mais résume l’intervention de Marie : « alors se fera la paix et la réconciliation de Dieu avec les hommes », prédit le secret donné à Mélanie. Plus concrètement, sous la plume de Maximin, il prédit le retour à Dieu de l’Angleterre et des autres nations avec elle.

Le langage de Marie

De même que l’Eglise garde sur sa mission une certaine discrétion, Marie s’est présentée dans la continuation des figures de la Révélation. Avec le style de la Bonne Nouvelle, elle reste humble et brève dans ses paroles fortes et riches. L’Ecriture juive est sa méthode : clef de son langage aux multiples résonances. En gloire, Marie se fait œcuménique et chère au cœur de tous ses enfants. Le message de La Salette n’est pas un nouveau titre à connaître, inscrit sur une statue quelconque. Sa portée surpasse autant les mots que ses larmes. Dans l’Ecriture, celui qui n’aime pas ne connaît pas (cf. 1 Jn 4, 8). Dans son apparition , Marie récapitule l’intercession de Moise pour son peuple à Rephidim (EX 17, 8-16) Mélanie et Maximin ont préparé les pierres où elle appuie sa perpétuelle
intercession. Mais le message évoque aussi l’évangile du premier avènement, et les paroles de l’ange du Seigneur aux bergers enveloppés de sa clarté: « N’ayez pas peur … je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle.. . pour tout le peuple ». (cf. Lc 2, 8-10) Nous verrons Mgr Fava convenir de ce rapprochement. La maladie des petits enfants rappelle les Saints Innocents : eux aussi sont les victimes du péchés! Depuis Pâques et la Pentecôte, l’Esprit souffle comme il veut (Jn 3, 8). Comme à Bethléem, à La Salette, Lourdes, Pontmain, Fatima, Banneux et Beauraing, Marie choisit le temple universel de la nature et les plus oubliés des hommes.
Le vrai culte n’est plus lié aux œuvres des artistes ou aux sermons tonitruants, mais à la connaissance de Dieu »en esprit et vérité » (Jn 4 , 23). Le ou les fils de Dieu ne naissent pas « du vouloir des hommes » (Jn 1, 13) : les temples nouveaux, libres de compromissions , sont élevés par Dieu dans le Christ ressuscité.

L’heure des Fils de Marie.

Une seconde partie du message de Mélanie, dédié à la vie apostolique, a inspiré les fondateurs qui firent sa rencontre en Italie. Les « apôtres des derniers temps » qu’elle désirait susciter, sur les paroles de sa Dame, étonnaient les autorités ignorantes d’une telle formule, celle de plusieurs saints. L’apostolat aux derniers temps avait été évoqué par Vincent Ferrier, et même par Vincent de Paul. Et le rôle que Marie devait y prendre avait été expliqué par le plus marial des Saints de l’Ecole française : le Père de Montfort. C’est lui qui invente les « apôtres des derniers temps », dans le célèbre TRAITE DE LA VRAIE DEVOTION, retrouvé quatre ans avant La Salette. Dix ans plus tôt, face aux hérésies modernes, Grégoire XVI avait exprimé son espérance en Marie : levons les yeux et les mains vers la très sainte Vierge. Seule elle a détruit toutes les hérésies ; en elle nous mettons une immense confiance, elle est même tout l’appui qui soutient notre espoir.

Le lien est étroit entre Montfort et La Salette. A la l’aube d’un monde sécularisé, il est le prophète de la divine Sagesse dont il demande à Marie le secret : celui de la Croix. Or le 19 septembre 1846, Marie se montre parée symboliquement, à la juive, des chaînes brillantes de la Sagesse, et des autres ornements préconisés par le livre de l’Ecclésiastique (Siracide, 6, 22-31 ). Quant au crucifix, vivant et plus brillant qu’elle, il est solidement attaché à son cou. Et Montfort de demander à Marie de former à la suite du Christ « des apôtres véritables des derniers temps » (Traité de la Vraie dévotion , n° 55) Dans sa « Prière embrasée » (n° 25) il compare Marie à la « Montagne sur les flancs des monts », immaculée de neige ou grasse de pâturages, où ces apôtres seront nourris et formés pour apprendre « de la bouche même de Jésus-Christ, qui y demeure toujours, l’intelligence de ses huit béatitudes. C’est sur cette montagne de Dieu qu’ils seront transfigurés avec lui comme sur le Thabor, qu’ils mourront avec lui comme sur le calvaire et qu’ils monteront au ciel avec lui comme sur la montagne des Oliviers » A l’aube de La Salette, deux doctrines et deux camp se disputent le sort de l’humanité en crise. Lorsque Karl Marx devient rédacteur du JOURNAL DU RHIN, le TRAITE DE LA VRAIE DEVOTION sort de l’ombre. En 1844, Jean Baptiste Fontaine écrit « DE LA CONNAISSANCE DE MARIE ». En 1846, année de La Salette, Marx publie une satire: LA SAINTE FAMILLE. En France naissent les « Sœurs de la Sainte Famille ». Les fondations religieuses mariales fleurissent au siècle de La Salette : les Assomptionistes du Père d’Alzon, les Maristes du bienheureux Champagnat … Trois autres fondateurs marchent encore sur les traces de Grignion de Montfort : les Pères Noailles, Chaminade et Colin. « Un f it est acquis pour nos trois fondateurs : ces derniers temps correspondent pour eux au XIXe siècle, à leur temps. [ … ] A l’action plus active de Satan en ce monde doit s’opposer [ … ] une action plus intense de Marie. Le P. Chaminade fonde ici son affirmation non sur Apocalypse 12 qui décrit la lutte entre le dragon et la Femme, mais sur Genèse 3,15-17. Il établit donc un lien entre le péché d’origine et ces derniers temps qui sont les siens. Analogiquement le P. Colin remonte, lui, à la première Eglise, celle de Jérusalem où Marie était activement présente. La présence de Marie dans l’Eglise primitive se prolonge, d’un certaine façon, dans l’Eglise des derniers temps, comme la « nouvelle Jérusalem » descendue du ciel (cf. Ap 21). Cette cité sainte est Marie. La Salette est comme un Thabor marial, une anticipation de la cité ecclésiale ou Dieu et les hommes cohabitent, réconciliés par Marie. La femme apocalyptique vêtue de soleil, enfantant dans les larmes l’Eglise de Dieu (Ap 12, 1-3), combattant à ses côtés le mal suprême du péché, apparaît empourprée du sang de l’Agneau : belle, lumineuse, resplendissante devant deux bergers comme le buisson ardent devant Moïse, l’Arche dans le Tabernacle, ou le Nouveau temple d’où coule l’eau vive.
Mère universelle du Peuple de Dieu, autant que sa parfaite figure, « en ces temps qui sont les derniers » (Hé 1 ,2), Marie enseigne à l’Eglise l’Evangile du Fils, non pas serré dans des livres, mais cloué pour ainsi dire sur son cœur, afin qu’elle le porte authentiquement, comme elle, « dans toute sa pureté, par toute la terre » (Règle, art. 22) .
Alors, dans le désert de La Salette, au coeur des Ecritures, ne serions-nous pas, après l’Exode, comme à la porte de la « terre promise », à l’aube d’une évangélisation nouvelle, universelle ? Le christianisme a déjà apporté à plusieurs peuples un certain progrès : qu’en serait-il si l’Eglise se renouvelait jusqu’à devenir véritablement, « une, sainte, et universelle » ? La demeure eschatologique aura-t-elle alors, ici-bas, une anticipation rayonnante ? Les larmes de la Mère, et des corps, et des âmes, ne trouveraient-elles pas une grande consolation ? (cf Is 25, 6-8)
Quels que soient les niveaux qu’embrasse l’Espérance, retenons le signe de la « demeure » préparée sur terre : nous avons vu comment les enfants, nos guides vers Dieu, avaient élevé une maisonnette à l’endroit de l’apparition. Quant à l’espérance mariale des trois fondateurs cités, elle a été continuée au XXème dans les fondations du Père Kolbe avec sa cité de l’immaculée, les mouvements de la Légion de Marie, des « Foccolarini » et leurs « Mariapolis », le Mouvement Sacerdotal Marial, etc.
La Salette n’est pas un hasard. L’apparition vient s’insérer en signe de ralliement d’un vaste mouvement spirituel, en icône d’un traité de théologie revitalisée , en confirmation de la mission première et dernière de la Mère De Dieu au cœur de son peuple (selon la perspective mariale de Vatican Il). Il nous reste plus qu’à apprendre de la catéchiste des fils de Dieu le secret de l’intercession et de la mission.

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