Partager la publication "La Salette, suite. retour au bercail et première enquête"
Mélanie poursuit son récit :
« Le soir du 19 septembre, nous nous retirâmes un peu plus tôt qu’à l’ordinaire. Arrivée chez mes maîtres, je m’occupais à attacher mes vaches et à mettre tout en ordre dans l’écurie. Je n’avais pas terminé que ma maîtresse vint à moi en pleurant et me dit :
« Pourquoi, mon enfant, ne venez-vous pas me dire ce qui vous est arrivé sur la montagne ?
Maximin, n’ayant pas trouvé ses maîtres qui ne s’étaient pas encore retirés de leurs travaux, était venu chez les miens et avait raconté tout ce qu’il avait vu et entendu. Je lui répondit : « Je voulais bien vous le dire, mais je voulais finir mon ouvrage auparavant. »
Un moment après, je me rendis dans la maison, et ma maîtresse me dit : « Racontez ce que vous avez vu ; le berger de Bruite (c’était le surnom de Pierre Selme, maître de Maximin) m’a tout raconté. »
Je commence, et, vers la moitié du récit, mes maîtres arrivèrent de leurs champs. Ma maîtresse, qui pleurait en entendant les plaintes et les menaces de notre tendre Mère, dit : « Ah ! vous vouliez aller ramasser le blé demain (dimanche) ; gardez-vous en bien, venez entendre ce qui est arrivé au aujourd’hui à cette enfant et au berger de Pierre Selme. »
Et, se tournant vers moi, elle dit : « Recommencez tout ce que vous avez dit. »
Je recommence et, quand j’eus terminé, mon maître dit :
« C’est la Sainte Vierge ou bien une grande sainte, qui est venue de la part du Bon Dieu, mais c’est comme si le Bon Dieu était venu lui-même , il faut faire ce que cette Sainte a dit. Comment allez-vous faire pour dire tout cela à tout son peuple ? »
Je lui répondis : « Vous me direz comment je dois faire, et je le ferai. »
Ensuite il ajouta en regardant sa mère, sa femme et son frère : « Il faut y penser. »
Puis chacun se retira à ses affaires. C’était après le souper, Maximin et ses maîtres vinrent chez les miens pour raconter ce que Maximin leur avait dit et pour savoir ce qu’il y avait à faire.
« Car dirent-ils, il nous semble que c’est la Sainte Vierge qui a été envoyée par le Bon Dieu ; les paroles qu’Elle a dites le font croire. Et Elle leur a dit de le faire passer à tout son peuple ; il faudra peut-être que ces enfants parcourent le monde entier pour faire connaître qu’il faut que tout le monde observe les commandements du Bon Dieu, sinon de grands malheurs vont arriver sur nous. »
Après un moment de silence, mon maître dit, en s’adressant à Maximin et à moi :
« Savez-vous ce que vous devez faire, mes enfants ? Demain, levez-vous de bon matin, allez tous deux à M. le Curé, et racontez-lui tout ce que vous avez vu et entendu ; dites-lui bien comment la chose s’est passée, il vous dira ce que vous avez à faire. »
Visite au Curé
Le 20 septembre, lendemain de l’Apparition, je partis de bonne heure avec Maximin. Arrivés à la cure, je frappe à la porte, La domestique de M. le Curé vint ouvrir et demanda ce que nous voulions, je lui dis (en Français, moi qui ne l’avais jamais parlé) :
« Nous voudrions parler à M le Curé. »
– Et que voulez-vous lui dire ? nous demanda-t-elle,
« Nous voulons lui dire, Mademoiselle, qu’hier nous sommes allés garder nos vaches sur la montagne des Baisses, et après avoir dîné, etc, .. , etc ». »
Nous lui racontâmes une bonne partie du discours de la Très Sainte Vierge. Alors la cloche de l’église sonna ; c’était le dernier coup de la messe.
M, l’Abbé Perrin, curé de la Salette, qui nous avait entendus, ouvrit sa porte avec fracas; il pleurait ; il se frappait la poitrine; il nous dit :
« Mes enfants, nous sommes perdus, Dieu va nous punir. Ah ! mon Dieu, c’est la Sainte Vierge qui vous est apparue ! »
Et il partit pour dire la Sainte Messe. Nous nous regardâmes avec Maximin et la domestique ; puis Maximin me dit :
« Moi, je m’en vais chez mon père à Corps, » Et nous nous séparâmes.
N’ayant pas reçu d’ordre de mes maîtres de me retirer aussitôt après avoir parlé à M. le Curé, je crus ne pas faire mal en assistant à la Messe. Je fus donc à l’église. La messe commence et après le premier Evangile, M. le Curé se tourne vers le peuple, et essaie de raconter à ses paroissiens l’Apparition qui venait d’avoir lieu, la veille, sur une de leurs montagnes, et les exhorte à ne plus travailler le dimanche ; sa voix était entrecoupée par des sanglots, et tout le peuple était très, très ému.
Après la sainte messe, je me retirai chez mes maîtres. M. Peytard, qui est encore aujourd’hui maire de la Salette y vint m’interroger sur le fait de l’Apparition, et, après s’être assuré de la vérité de ce que je lui disais, il se retira convaincu.
Je continuai de rester au service de mes maîtres jusqu’à la fête de la Toussaint. Ensuite je fus mise comme pensionnaire chez les religieuses de la Providence, dans mon pays, à Corps.