Partager la publication "Les bergers de la Salette"
Nous reproduisons des articles d’une revue parue en 2006 (l’Impartial n°199), publiée par le Père Michel Corteville, spécialiste de La Salette.
Qui donc connaît les témoins de La Salette ? Avant de découvrir leur message, n’oublions pas de les rencontrer.
C’est le premier évêque vrai pèlerin de La Salette, Mgr Villecourt, qui nous fait le meilleur portrait de Mélanie, puis de Maximin, un an après l’apparition :
« Réunissez dans votre imagination tous les traits qui vous semblent devoir peindre la modestie la plus parfaite et la plus saisissante, et vous aurez à peine une idée de celle de Mélanie. Elle a un visage régulier et délicat : ses yeux sont pleins de douceur, et sa voix est d’une aménité angélique qui vous pénètre, à l’instant, d’estime et d’une certaine considération. Rien qui annonce la rusticité des bergères de la montagne. Changez ses vêtements, et vous ne soupçonnerez plus qu’elle est née dans le plus misérable des réduits, et que ses parents, ses frères et sœurs attendent l’aumône qui doit secourir leur profonde indigence. Mélanie a près de seize ans : à peine croirait-on qu’elle en a douze. Elle parle peu, et seulement quand on l’interroge. Alors elle le fait avec une grâce qui emprunte du ton délicieux de sa voix et de sa retenue un charme inexprimable. Ce qu’elle dit est d’une justesse qui ravit : mais elle ne s’en doute pas : un enfant de six ans ne s’exprimerait pas avec plus de simplicité et moins de prétention. Elle paraît attacher beaucoup d’intérêt à l’explication de la doctrine chrétienne. Elle dit sans façon ce qu’elle pense sur les points susceptibles de recevoir des interprétations diverses : mais si un autre développement leur est donné, elle laisse apercevoir, par un modeste sourire, qu’elle l’accueille avec satisfaction. Elle n’est pas sans vivacité, mais on voit qu’elle sait la contenir par une disposition naturelle de convenance : elle est ingénue et sans détour. Elle ne partage pas toujours l’avis de Maximin, qui ne s’en fâche pas ; mais si elle émet une opinion différente, elle n’y donne pas, pour cela, de la valeur et de l’importance …
.. Maximin, d’un caractère vif mais sans aucun emportement, ne peut ouvrir la bouche sans inspirer de l’intérêt par la suavité de sa parole et la candeur avec laquelle il s’exprime. Il est naturellement aimant, caressant, reconnaissant et sensible, ses yeux sont beaux et étincelants. Sa bouche est un peu grande ; mais elle devient très gracieuse quand il fait la conversation. Il a toujours alors quelque chose il remuer… Il est très petit, mince, délicat et porte trois ans au dessous de son âge. Sa figure est ronde, sa peau blanche et fine : son teint annonce la santé ; ses yeux sont grands, beaux et pleins d’expressions. Il aime les jeux et les amusements autant pour le moins que les autres enfants de son âge, il ne prend aucune précaution pour dissimuler
cet attrait… Il est généreux et désintéressé : il se dépouillerait de tout ce qu’il a pour vous le donne … Il est si pur qu’il n’a pas même l’idée du vice… Il va à la prière avec le même bonheur et le même empressement qu’il se porte au jeu de l’enfance. Son attrait est de servir la messe. On conçoit à peine qu’un enfant qui se montre avec un caractère naturellement volage, soit si ferme et si constant à garder le secret de ce qu’il ne doit pas dire … »
Mais que fut leur vie ? Tout le contraire de la facilité et de la gloire !Admiration parfois, persécution, calomnie ou mépris.
Mélanie a retrace en style télégraphique son pèlerinage terrestre en un « memorandum » :
Je suis née à Corps (Isère) le 7 Novembre 1831. Pendant les années 1838.1839 j’étais occupé (tantôt dans une famille et tantôt dans une autre) à la garde d’un petit enfant ou à garder les brebis, pendant l’été, à Corps même. En 1841 et 1842, hors du bourg chez une famille qui avait sa maison isolée sur une montagne, le plus proche village s’appelait le Serre, de la commune de St Jean des Vertus.
« En 1843 et 1844, je suis restée à Ste Luce. -En 1845, je suis restée un an seulement à Quet en Beaumont. -En 1846, je suis resté au village des Ablandins, commune de la Salette… -En 1847 environ, je suis entrée comme pensionnaire, à Corenc chez les Sœurs de la Providence. -En 1850 ou environ, je suis allée à Corenc chez les Sœurs de la Providence comme probande (ou postulante). En 1854, (je fus livrée, donnée) je partis pour l’Angleterre… En 1860, je suis retournée en France, à Marseille et là le fondateur des sœurs de la Compassion (Jésuite) me fit entrer comme pensionnaire libre dans la maison-mère. Je m’expliquerai plus loin sur certains faits. A présent je continue à voyager et comme je l’espère dans la volonté du Très-Haut qui n’a pas à consulter ses viles créatures. -En 1861 en Novembre je suis allée avec deux autres Sœurs, en Grèce, dans l’ile de Cefalonia (Céphalonie) pour diriger un orphelinat. -En 1863, 28 Juillet, nous avons quitté Cefalonia et rentrées à Marseille. -En 1867, 13 avril, j’ai quitté Marseille. Eh ! … Mg Ginoulhiac ne me voulant pas dans son Diocèse, m’envoya faire un pèlerinage sur ma montagne tandis que Sa Grandeur écrirait à Mg. Petagna Ev. de Castellamare. Eh ! la réponse tardant, de la montagne je fus envoyée à Voirons chez les Visitandines, en Mai la réponse de Mgr. arrive et je crois même l’avoir encore. -En 1867, 21 mai, je quittais la France pour Castellamare di Stabia (Italie). J’y suis restée 17 ans et en 1871 je suis allée une fois en pèlerinage sur la Ste Montagne de la Salette, puis voir mes parents et mes amies. -En 1878, je fus mandé à Rome par sa Sainteté Léon XIII, vers la fin de Novembre qui daigna m’octroyer une audience privée ; et peu de jours après elle décida mon entrée chez les Salesiane (Visitandines) au mont Palatin, et ce furent Son Eminence Ferreri Préfet de la Congr. des Evêques et Réguliers et son secrétaire Mgr Blanchi qui le 3 Décembre me fit entrer pour que j’écrive ce que le St Père m’avait demandé. Je sortis des Visitandines (toujours par l’ordre du Pape) le 5 de Mai 1879. pour me rendre à Castellamare. -En 1884, le 21 août. par ottorisation (sic) du St Père je suis retourné en France, soigner ma chère mère restée seule et très âgée. Après que le divin Maitre eût disposé de ma chère et pauvre mère je fis des démarches pratiques pour retourner dans ma chère Italie. En 1892 le 22 Août je partie pour l’Italie, à Lecce et de là à Galatina où je suis restée 5 ans. -En 1897 le 13 Septembre je partie pour Messine et j’en suis repartie le 2 Octobre soir 1898 pour Moncalieri près Turin. En 1899, je suis partie pour cette pauvre France en démence et suis venue a St Pourçain sur Sioule (Allier). En 1900, le 23 Juin je laissais St Pourçain sur Sioule pour venir ici à Diou (Allier) où je suis actuellement et ayant terminé hier 7 Novembre 1902, mes 71 ans. -Laissée Diou pour venir habiter Cusset (Allier). Arrive Mercredi 1er Août 1903, rue des Remparts, 13. (Copie aux archives de la curie des Missionnaires de La Salette à Rome.) »
Le 13 juillet 1904, Mélanie quine Cusset pour Altamura au Sud-Est de l’Italie. Mgr. Cecchini, évêque après avoir été religieux à Pompei, près de Castellammare, l’aide à s’installer. Elle y meurt « en odeur de sainteté » dans la nuit du 14 au 15 décembre 1904. Ses funérailles seront solennelles ; à son anniversaire, Saint Annibale prononcera son éloge funèbre. Plus tard il édifiera sa tombe dans l’église de la communauté fondée par ses religieuses pour la garder.
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Ne possédant pas de curriculum de Maximin, en voici un très sommaire emprunté à deux historiens.
Pierre-Maximin Giraud, appelé familièrement Mémin, né à Corps le 26 (ou 27 ?) août 1835, est le quatrième enfant d’un pauvre charron. Il n’a pas encore atteint dix-huit mois quand il perd sa mère, décédée le 11 janvier 1837. Son père se remarie dès le mois d’avril de la même année. A en croire Champon, Maximin aurait été le souffre-douleur de la maison, ne mangeant qu’après les autres, tandis que son père s’absentait fréquemment soit pour son travail, soit pour aller au cabaret, où il aurait parfois amené l’enfant. En septembre 1846 Maximin a onze ans, mais n’ayant pas fréquenté l’école, il ne sait ni lire ni écrire et ne parle que le patois local. N’ayant pour ainsi dire aucune formation religieuse, il n’a pu être admis à préparer sa première communion. Son père déclarera qu’il n’a réussi à lui apprendre le Notre Père et le Je vous salue qu’avec peine, en trois ou quatre ans. D’après Pierre Seime, le paysan chez qui l’enfant demeura du 14 au 20 septembre, « Maximin était un innocent sans malice, sans prévoyance. Avant qu’il parlait pour mener nos vaches à la montagne, nous lui faisions manger la soupe ; puis nous garnissions sa blouse ou son sac de provisions pour la journée. Eh bien ! nous avons surpris Maximin qui, en chemin, avait déjà mangé ses provisions du jour en les partageant largement avec le chien. Et quand nous lui disions mais
que mangeras-tu dans la journée ? Maximin nous répondait mais je n’ai pas faim… ! »
A l’imprévoyance vient s’ajouter une « bougeotte quasi constitutionnelle : il ne reste pas un instant sans agiter ses bras ou ses mains, qui semblent contractés par des mouvement nerveux », observe le chanoine Bez en mai 1847 . » La grossièreté de Maximin est peu commune », écrit Dupanloup après une journée passée en sa compagnie. Son agitation surtout est vraiment extraordinaire : c’est une nature singulière, bizarre, mobile, légère. » Mais le futur évêque d’Orléans note également le changement étrange, profond, subit, instantané, qui s’opère dans l’enfant quand il parle du grand événement, la justesse de ses réponses, son humilité, sa simplicité : « on voudrait qu’il parlât toujours, qu’il ajoutât des détails, qu’il racontât ce qu’il a éprouvé, et ce qu’il éprouve encore : mais non ; il n’ajoute pas un mot à la réponse nécessaire». Entré à l’école en automne 1846, ses progrès sont modestes en octobre 1850, à l’âge de quinze ans, il n’a pas atteint le niveau de l’entrée en sixième.
« … élève au petit séminaire du Rondeau, Près Grenoble, en 1850, il passe les vacances de 1851 – jusqu’à l’automne – à la Grande Chartreuse. En 1851 , il rentre au petit séminaire de la Côte-St-André, puis il poursuit ses études (1853-56) chez M. Champon, curé de Seyssins. (C’est en septembre 1854 qu’il fait avec M. Similien son premier voyage à Rome). Ce sont ensuite (mars 1856 à 1858) deux ans d’études au grand séminaire d’Aire-sur-l’Adour, où l’a emmené un frère de M. Champon, Jésuite, professeur dans ce séminaire. Et il en sort pour une vie qui ne cessera d’être malheureuse. Placé en 1858, chez le percepteur de la Tronche, il n’y reste pas faute de savoir le calcul. L’année suivante, 25 août 1859, il entre il l’hospice du Vésinet, mais il est bientôt remercié ; vient se placer au collège de Tonnerre, qu’il quitte en août 1851 ; il va faire un voyage au Havre, tombe malade, est soigné il l’hôpital Saint Louis à Paris, y prend le goût de la médecine, et grâce à de braves gens, de Paris, M. et Mme Jourdain, qui l’ont adopté, fait trois ans d’études médicales (1861-1864). Le Comte espagnol de Penalver devient aussi son «protecteur ».
En 1865 il voyage : à Froshdorf, grâce à la marquise de Pigneroles, fin avril, il visite Henri V, vient ensuite à Rome, et s’engage pour six mois dans les zouaves pontificaux. Pendant deux ans, une fois libéré, il cultive, sans succès, une petite propriété que le Comte de Penalver lui a procurée. Ses protecteurs perdent leur fortune, en 1870. Maximin – depuis 1868 – est revenu à Corps d’où il ne s’absentera plus que pour aller parfois à la Montagne. M. et Mme JOURDAIN l’y suivent, ne le quittent plus : ce sont ces années de misère commune et de faim qui le conduiront à cette déplorable fabrication d’une liqueur qui lui procurera autant de déboires que de déconsidération. Il vit, l’hiver, de la charité des missionnaires, mais sa santé s’altère et, en novembre 1874, il tombe gravement malade. Le 4 novembre 1874, il peut accomplir son dernier pèlerinage à La Salette, y refait son récit, – on ne sait combien de milliers de fois il l’a déjà fait, – repasse sur les pas de la Belle Dame. Entouré de ses parents adoptifs, il reste les derniers mois de sa vie dans la maison paternelle de Corps. Et là, très chrétiennement, il meurt le 1er mars 1875.
En ne réglant pas la liberté qu’ont que tous les curieux de le voir, de le questionner, de l’entendre, écrit en 1879, quatre ans après la mort de Maximin, M. Dausse, qui est, croyons-nous, celui qui l’a le mieux connu et le plus équitablement jugé, « faute », dit-il, « qu’on a sagement évitée à Bernadette », les années de formation de Maximin ont été sacrifiées. Maximin n’a été constant que comme témoin de l’Apparition ; car on ne peut plus nier qu’il l’ait été avec une fidélité à toute épreuve et avec une supériorité réelle et merveilleuse… Sa résignation, sa patience, sa foi, sa piété ont été admirables et il est mort de manière il faire dire au Père qui ne cessa de le visiter jusqu’à la fin : « je voudrais bien être à sa place.»
Ayant pris contact avec les témoins de Notre Dame de La Salette, découvrons maintenant l’apparition sous leur propre plume : celle de Mélanie surtout, aînée et premier des deux témoins. La découverte à l’aube de l’an 2000 de leur secret au Vatican permet d’en compléter le récit.
Comme Maximin le fait en 1866, c’est en 1879, longtemps après l’apparition, que la voyante nous livre son récit complet, où elle publie elle-même son secret. Contrairement aux faits ordinaires dont le souvenir se brouille avec le temps, l’apparition est une grâce surnaturelle qui oriente toute la vie de ses témoins. Comment ne pas prendre en compte, comme pour les Evangiles, le long travail d’approfondissement et d’intelligence que l’évènement a suscité chez ses enfants, illettrés lors de l’apparition, jusqu’à ce qu’ils puissent nous le consigner de leur propre initiative, et d’une manière définitive : pas comme des mots étranges sans contextes ni chaleur, mais comme un message de grâce qui les a peu à peu édifié, et dont ils vivent les premiers ?
Préparons-nous à lire une grande et belle histoire, plus vraie qu’on ne le croit dans son humanité et sa spiritualité.
A suivre…